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PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, MINISTRES, DG DE SOCIETES: Quand les autorités publiques dansent, ça fait désordre

Les commentaires sont allés bon train dans les réseaux sociaux lorsque le président de la République Macky Sall a esquissé quelques pas de danse à Diamniadio en août 2018. Pourtant lorsqu’à 79 ans, il est monté sur une scène à Francfort pour bouger au son de la chanson «Asimbonanga» de Johnny Clegg, feu Nelson Mandela a eu droit à une vague de sympathie… Autres cieux, autres mœurs, arguent certains Sénégalais interviewés, en invoquant la religion et une conjoncture difficile. Pour le sociologue Amadou Thiam, danser est dans le corps de l’Africain, qu’il soit président de la République devant ses partisans ou juste un cultivateur aux champs qui veut se donner de la bravoure.

Le 29 août 2018, au Centre International d’Abdou Diouf (Cicad), face à des mem- bres du Gouvernement, députés et militants acquis à sa cause, le chef de file de Benno Bokk Yakaar (Bby), Macky Sall a esquissé quelques pas de danse lorsque les décibels ont diffusé le tube de Bideew Bou Bess «Rawngalen», qui vante ses réalisations. Pendant deux minutes, souriant, les doigts en l’air, bougeant les épaules, emporté par la musique, le locataire du palais de la République s’est laissé aller… C’était à l’occasion du lancement de la campagne de collecte de parrainages pour l’élection présidentielle de 2019. Si la scène peut se voir sur beaucoup de sites via «Youtube», dans d’autres il est écrit : «La danse de Macky Sall au (…) n’est plus disponible en raison d’une réclamation pour atteinte aux droits d’auteur envoyée par un tiers».
D’autres autorités publiques comme le Premier ministre Boune Abdallah Dione (Mbarass en juillet 2017), le maire de Guédiawaye Alioune Sall (mars 2016 avec une chanson de Youssou Ndour) ont aussi dansé en public.
Hors de nos frontières, alors qu’il était Président des Etats-Unis, Barack Obama en visite en Argentine a dansé le tango lors d’un diner, guidé par des professionnels. A 106 ans, Virginia Mc Laurin toute excitée à l’idée de réaliser enfin son rêve, a dansé avec Michelle et Barack Obama à la Maison Blanche.
L’ex-Président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, a aussi dansé le «Coupé- Décalé»
En 1997, à 79 ans, l’illustre Nelson Mandela, qui dansait à chacune de ses victoires personnelles, a fait une apparition surprise au concert de Johnny Clegg à Francfort et dansé avec lui son fameux tube «Asimbonanga». Les images ont fait le tour du monde et entrainé un élan de compassion.
Selon certaines indiscrétions, l’ancien Président de la République Abdou Diouf, préférait, lors des soirées mondaines, laisser sa douce moitié Elisabeth Diouf danser avec son Premier ministre Habib Thiam ou son ministre d’Etat, un certain Abdoulaye Wade.

SANEKH, COMEDIEN : «VOUS NE ME VERREZ JAMAIS DANSER DANS UN SABAR»
Interpellé sur le sujet, le comédien de la troupe théâtrale de Thiès «Le Soleil Levant» Cheikhou Guèye alias Sanekh qui danse souvent dans ses pièces donne son avis. «Je danse pour mon épouse, mes enfants, parfois pendant la pause lors des tournages pour détendre l’atmosphère, mais vous ne me verrez jamais danser dans un sabar. Je n’ai rien contre ceux qui le font, si cela leur fait plaisir, je n’ai rien à y redire. Mais nous Sénégalais, avons l’habitude de banaliser ce qui est grave et de dramatiser ce qui est banal. Par exemple si quelqu’un danse du rap, on dit que c’est un guerrier. Lorsqu’un autre danse le sabar, on le traite de faiblard parfois même d’homosexuel. Pourtant, la danse takhourane fait partie de notre culture. Nous avons un complexe d’infériorité qui fait que nous ne valorisons pas notre culture. Pourquoi l’on trouve naturel que le Djola danse le bougarabo, le Sérère le Dérém ou Dirim, le Poular le Wango et que l’on s’offusque de voir le Wolof danser au rythme du tamtam ? Je ne vois aucun inconvénient à ce que des hommes publics dansent, du moment qu’ils se font plaisir, il n’y a pas de problème», estime le comédien.
Rencontré à DakarPlateau, un jeune homme, la trentaine, se prononce sous l’anonymat. «Nous sommes dans un pays à majorité musulmane et sommes influencés par des confréries. On sait que la religion musulmane nous interdit de danser. Donc voir une haute autorité danser ne peut que nous heurter. Au Sénégal, quand on veut se faire respecter, on ne danse pas en public. Vous me direz que de grands hommes comme Nelson Mandela et Barack Obama ont dansé en public, mais nous n’avons pas la même culture ni les mêmes repères sur le plan de la religion. On connaît des hommes politiques en Afrique, qui, avant de débuter leurs meetings, dansent. Au Sénégal, on commence par des prières. Un président de la République doit donner le bon exemple et danser en public n’en est pas un. Quand on était plus jeune, lorsqu’un garçon dansait, on le traitait de gorou wak bang et gorou yaye mayma niekh», déclare notre interlocuteur.
Style «Baye Fall», un autre membre du groupe pense que le souci premier du chef de l’Etat Macky Sall, en cette période de parrainage, est d’avoir le plus d’adhérents possible. «Ceux qui sont à cheval sur les principes de la religion pourraient être choqués de le voir danser en public», dit- il. Pas le moins du monde, estime El Hadji Wade, marchand ambulant, rencontré également au centre-ville de Dakar : «Pourquoi Macky Sall ne danserait-il pas comme d’autres chefs d’Etat Africains ? S’il est content, si ses partisans et les populations sont satisfaits, pourquoi ne manifesterait-il pas sa joie? C’est une façon comme une autre de décompresser, Sénégal djeum kanam (Ndr : et le pays avance)».
De l’avis de Mansour Diouf, commerçant, l’heure n’est pas aux réjouissances. «Quand je vois celui qui est à la tête du pays danser, j’ai mal au cœur. C’est comme s’il se moquait de nous. Qu’il travaille au lieu de s’amuser».

AMADOU THIAM, SOCIOLOGUE «Danser pour nous, en Afrique, c’est dans le corps»
Amadou Thiam, sociologue, ne voit aucun inconvénient à ce qu’un chef d’Etat ou des ministres dansent au Sénégal ou ailleurs en Afrique.
L’AS : Qu’est-ce qui explique que des Sénégalais s’offusquent quand le prési- dent de la République, ses ministres et directeurs généraux dansent alors que ce n’est pas le cas en Côte d’Ivoire, aux Etats Unis, par exemple ?
C’est juste une question de culture. Il est vrai qu’avant, on ne voyait pas souvent les rois danser, on le faisait pour eux et ils regardaient. Dans d’autres pays africains, tout le monde danse. Nous copions beaucoup sur la culture française. Ce n’est absolument rien de danser. Les Président dansent au Palais…
Comme Barack Obama
Oui, il n’y a aucun problème. En Afrique, on est tous danseurs, on aime la danse culturelle urellement. Les joies, ça se danse. Même pour les morts, on danse. Au Sénégal, on est tellement coincé qu’on est devenu plus blanc que les toubabs.
Certains invoquent des raisons liées à la religion, à la conjoncture pour dénoncer la danse en public, des autorités.
N’importe quoi ! Dans l’Islam, on danse, on tire le fusil, on cavale. Maintenant, le contexte économique fait que certains peuvent être aigris. Mais même pour labourer les champs, certains chantent et dansent.
Oui, les maçons par exemple….
Parfaitement, pour se donner du courage. Cela motive, remonte. Ici, les gens criti- quent pour critiquer. Ils se disent : on a faim, on a des problèmes d’argent… Ils dansent, ils nous narguent. L’Afrique, c’est la danse. La raison est hellène, l’émotion est nègre. Cela veut dire que danser pour nous, c’est dans le corps. Et comme le disait Senghor, nous Sérères, on danse, on chante. Yandé Codou le précédait à chaque déplacement. Senghor a connu Yandé Codou alors qu’elle dansait. Il était dans une cérémonie et il a remarqué la jeune Yandé qui dansait. Il paraît qu’il lui a demandé à boire, c’est comme cela qu’il l’a gardée comme chanteuse.
Pourtant quand le Sérère, le Joola ou le Hapulaar danse, ce n’est pas aussi mal interprété que lorsque c’est le Wolof qui danse le sabar.
Ils n’ont rien compris, il n’y a rien d’extraordinaire pour un homme à danser le sabar ou le ndawrabine. Dans certaines ethnies, quand un homme voyage pendant longtemps, à son retour, on danse, on s’écroule pour remercier le Ciel.
A la télévision, je les entends demander aux imams si danser pour sa femme est permis dans l’Islam. Le Prophète Mouhamed (Psl) dansait pour sa femme. Certains ne savent même pas ce que l’Islam dit. Ce sont les Salafistes qui inter- disent la danse et la musique.

( Réalisé par Hadja Diaw GAYE avec Toutinfo.net )