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ENTRETIEN AVEC Cyrille BALEGEL BELL, SPECIALISTE EN INGÉNIERIE INDUSTRIELLE, PDG DELTA GLOBAL ENGENEERING: « Pour s’industrialiser, L’Afrique doit former des ingénieurs industriels et financer l’innovation « 

Toutinfo.net

Pouvez- vous présenter Delta Global Engineering ?

Cyrille Balegel Bell

Oui, Delta Engeneering Global est société de stratégie et d’ingénierie industrielle, née d’un d’un constat. Nous remarquons qu’en Afrique, tous nos plans stratégiques ou tous nos plans d’industrialisation peinent à se concrétiser. Soit les projets sont ratés, retardés, soit commencés et abandonnés etc.., car mal dimensionnés , mal identifiés ou mal gérés . Dans nombre de pays Africains, surtout au sud du Sahara, le constat que nous faisons est qu’au-delà des aspects stratégiques et de financements il y a un sérieux problème de compétences en ingénierie industrielle, disponibles toute de suite pour fabriquer nos équipements industriels et construire nos usines. Voilà le besoin que Delta Global Engineering veut adresser.
Aujourd’hui les secteurs public et privé sont ouverts à un accompagnement clair en ce qui concerne l’industrialisation. Delta Global Engineering est là pour apporter des réponses précises et efficaces aux acteurs industriels. La mission de Deltat Global Engineering est de contribuer à l’augmentation de la valeur ajoutée manufacturière sur le continent Africain et favoriser une insertion maîtrisée et optimale du numérique dans le tissu industriel du continent . Pour ce faire Delta Global Engineering se positionne sur quatre axes : structurer les compétences industrielles solides, nécessaires et à proximité des acteurs industriels Africains; gérer les projets industriels complexes en apportant et dimensionnement calibré et une Maitrise des CAPEX; Réaliser les lignes de procédés pour transformer nos produits sur place; Affiner les stratégies industrielles de certains acteurs.

Toutinfo.net :

À la lumière de la 7ème édition des journées africaines de l’intelligence économique ( JAIE) organisées par le CAVIE du Président Guy GWETH, qu’elle est selon vous l’importance de l’intelligence artificielle pour l’industrie africaine ?

CBB:

L’intelligence artificielle ( IA) apporte aujourd’hui beaucoup de compétitivité à l’industrie. Mais vous avez sans doute remarqué que dans mon intervention lors des Journées Africaines de l’intelligence économique, que Je nuançais , en disant que ce gain en compétitivité était plus vérifiable dans les économies développées. Pour ce qui est de l’Afrique l’apport de l’IA dans l’industrie répond à une approche différente, car L’Afrique aujourd’hui n’a pas encore le tissu industriel établi et varié des pays développés. Pour sa part , L’Afrique veut développer son tissu industriel, et la question c’est comment devons-nous capitaliser et mettre en mouvement l’IA dans ce processus d’industrialisation ? Là, à mon sens l’IA va jouer deux rôles principaux : le premier sera au niveau de la structuration de la conception des projets industriels, avec une intelligence artificielle mâture, nous serons à même de concevoir des projets industriels beaucoup plus complexes et durables, en optimisant le coût de l’ingénierie et de construction de ces projets industriels, tout ceci dans des délais beaucoup plus réduits.
Le deuxième aspect est lié au développement des sociétés technologiques fortes sur le continent .Ce sont ces sociétés technologiques, qui favoriseront l’insertion du numérique, dont l’IA dans le tissu industriel Africain, en créant à la fois des nouveaux marché pour les industries manufacturières, et en leur apportant la compétitivité nécessaire pour attaquer le marché mondial. Il nous faut donc des ingénieurs avec une puissance de feu et hommes d’affaires ambitieux et diligents pour pouvoir développer ces sociétés technologiques qui vont driver le développement de l’IA et la faire pénétrer dans le tissu industriel Africain . Tout cela revient à dire deux choses : il faut former des ingénieurs tous azimuts. Il faut également financer l’innovation. L’innovation technologique c’est le carburant de l’industrialisation . Parfois, des entreprises publiques ou privées sur le continent ont le capital et dégagent du cash-flow, Qu’est ce qui empêche à une entreprise africaine de mettre 100 ou 200 millions de FCFA par an pour financer l’innovation ? Rien, absolument rien . Vous allez voir des entreprises qui construisent des immeubles, des hôtels et tutti quanti, c’est bien , mais une partie de cet cash pourrait bien aller dans l’innovation, qui apporterait plus de leviers au processus d’industrialisation et de création d’emplois. Aujourd’hui nous avons besoin besoin d’être plus ambitieux pour un impact plus global et positif. Et financer sérieusement l’innovation est un gage de prospérité industrielle certain à mon sens .

Toutinfo.net :
il faut libérer les énergies…?

CBB :
Tout à fait Il faut libérer les énergies , parce qu’aujourd’hui le potentiel ne manque pas en Afrique, mais l’autre question c’est comment on fédère tout ce mouvement? Comment on le structure ? Comment on le finance ? Quel est le but de la recherche dans tout cet écosystème? Donc, nous ne devons plus avoir peur, parce qu’aujourd’hui le développement de la technologie va vite. Il faut absolument que nous puissions ne pas regarder les pas qui nous séparent de ceux qui sont devant. Il faut mettre sur pied notre propre agenda.

Toutinfo.net :
Quand on parle d’IA, on entend souvent parler de Metavers …vu d’Afrique qu’est ce qu’on peut en dire ?

CBB

Qu’est-ce que nous allons faire de Metavers en Afrique pour le moment ? Le développement du Métavers ,consomme beaucoup d’énergie et nécessite des infrastructures numériques de pointe , dont nous en manquons cruellement . Si on peut lui trouver quelques applications dans le gaming ou le divertissement en général, le Metavers pour l’industrie ce n’est pas pour demain . Dans le livre blanc des journées africaines de l’intelligence économique, dans le quel j’ai écrit le chapitre concernant l’IA et l’industrialisation de l’Afrique , je mettais le développement du Metavers en action à long terme, car à mon sens il faut d’abord développer les infrastructures énergétiques et numériques, assoir un tissu industriel certain , avoir peut être des IA Africaines , et puis viendront ensuite des aboutissements technologiques comme le Metavers. A part quelques applications de niche , Aujourd’hui ça me semble prématuré de parler développement du Metavers en Afrique.

Toutinfo.net
Finalement, peut-on dire que l’IA est obligatoire pour que l’Afrique comble son retard économique ?

CBB:

Attention, l’IA n’est pas la panacée pour le développement industriel de l’Afrique ,parce que l’industrie a quelque chose d’important qui l’accumulation du savoir-faire . Donc, pour industrialiser avec l’IA , il faut une accumulation du savoir-faire et des données industrielles sur les machines et la production . Si vous avez l’IA et vous n’avez pas d’accumulation de savoir-faire , c’est à dire la maîtrise des métiers de l’industrie, alors mettre l’IA au service de l’industrie ne sera pas pertinent , Vous ne pourriez pas capter la plus value de l’IA pour pouvoir positionner le bon segment de la valeur ajoutée.
L’urgence ultime à mon sens pour faciliter l’industrialisation pourait être structurer en trois points :
D’abord revoir et renforcer la stratégie d’industrialisation, parce que l’industrie n’est pas l’industrialisation. L’industrialisation c’est beaucoup plus global avec pas mal de déterminants. L’un de ces déterminants fondamentaux est quelle est la stratégie industrielle que nous avons. Il faut la rendre robuste et y définir le rôle l’IA devra jouer. Deuxième aspect : C’est le financement de l’innovation.Dans les budgets d’Etats africains votés en à l’Assemblée nationale, il faut nécessairement un volet consacré à l’innovation. Arrêtons avec les petites initiatives, il faut des budgets massifs d’innovation. L’innovation c’est de la recherche, le développement et ça peut prendre du temps , donc, ce n’est pas parce qu’on finance aujourd’hui et si au bout de 12 mois, on n’a pas de résultats probants , on arrête de financer.Non. Il faut financer l’innovation de manière continue. La troisième chose, il faut plus de sociétés d’ingénieries et les sociétés technologiques . Il ne faut pas perdre de vue que les sociétés d’ingénierie sont des faiseurs de rois dans le processus de développement industriel, ce sont elles qui maturent les solutions et conseillent les décideurs politiques et économiques, car elles ont le savoir-faire. Lorsque l’Etat a besoin de construire un chemin de fer par exemple , l’Etat ne devrait plus aller faire l’appel d’offres en Chine ou en Europe, Les Etats Africains devraient faire les appels d’offres aux sociétés d’ingénierie locales qui connaissent les besoins, les exigences de l’Etat, les contraintes et le rythme global du développement . Lorsque vous contactez une société étrangère, quelle est la connexion que cette société a avec le territoire ? Je ne dis pas qu’on ne doit pas amener des partenaires étrangers, mais je dis que les têtes de proue doivent être les sociétés d’ingénierie Africaines. Elles sauront mobiliser la même chaîne de sous-traitants que les sociétés étrangères pour réaliser des projets complexes.
Cet aspect est tellement important, car mettre les sociétés d’ingénierie Africaines en avant leur permettra d’avoir des références qui leurs manquent pour répondre aux appels d’offres importants.

Touteinfo.net :
on doit être optimiste ?

CBB :
Pour s’industrialiser l’Afrique a besoin de former ses ingénieurs et financer l’innovation. Oui, Il faut être optimiste, ce que nous devons comprendre c’est que, en 1960 la Chine n’était pas développée. En 1978 la Chine n’était pas développée. C’est à l’avènement de Deng Xiao Ping que l’industrialisation a été propulsée en Chine. En 30 ans la Chine s’est développée. C’est pareil pour les pays industrialisés en Europe qui se sont développés en une vingtaine d’années. Aujourd’hui, l’espoir est grand et nous avons du capital humain de qualité, le numérique et la technologie, Il faut absolument combiner tous ces facteurs. Donner la possibilité aux jeunes de s’exprimer, donner aux jeunes la possibilité d’accéder à des postes de responsabilités. C’est un problème de confiance. Il faut que l’Etat renforce sa confiance en sa jeunesse, avec ses industriels et ses hommes d’affaires. Les hommes d’affaires africains ont des capitaux et il faut juste qu’ils dirigent une partie leurs capitaux vers l’innovation et vers l’industrialisation, pas seulement vers l’immobilier.
Les dynamiques en cours sur le continent font espérer un développement industriel de l’Afrique plus rapide , plus inclusif et plus durable. Nul doute !

Propos recueillis par Mamadou Lamine DIATTA envoyé spécial à Yaoundé