Me Amadou Aly Kane Avocat de Khalifa Sall: « l’arrêt impacte bel et bien la procédure en cours «
L’équipe de défense de Khalifa Ababacar Sall et Consorts avait déposé devant la Cour de la Cedeao 03 requêtes :
– une requête principale pour demander la condamnation de L’Etat du Sénégal pour les violations des droits à :
l’assistance d’un avocat dès l’interpellation,
– la présomption d’innocence
– au procès équitable
– et pour détention arbitraire
Parallèlement, La défense a déposé :
– une requête pour demander le jugement en procédure d’urgence ;
– et enfin une requête en indication de mesures provisoires tendant à l’arrêt du procès en cours des requérants et à leur remise en liberté immédiate , en attendant l’intervention d’une décision définitive sur la demande principale ;
La Cour a estimé qu’il n’y avait pas urgence suffisante , du fait que l’affaire a commencé en Mars 2017 tandis que sa saisine n’est intervenue qu’en Décembre 2017. Soit près de neuf mois après.
Vu donc l’absence d’urgence, la Cour a rejeté la demande d’examen de la requête en procédure accélérée et la demande d’indication des mesures provisoires sollicitées.
La Cour a donc renvoyé les requérants à attendre sa décision finale .
Celle-ci est tombée finalement le 29 Juin 2018 , et a condamné l’Etat du Sénégal pour la violation des droits cités plus haut et à payer 35 Millions aux 06 requérants.
Quelles conséquences de droit en tirer ?
L’arrêt de la Cour induit 03 conséquences de droit pour le Sénégal :
1 – l’obligation pour l’Etat de payer la somme de 35 Millions cfa aux six requérants . Cette obligation incombe à l’exécutif et non au judiciaire.
Et Ce n’est pas encore fait .
2 – l’obligation de faire cesser les actes internationalement illicites relevés par la Cour ;
Or le caractère inéquitable du procès et les effets juridiques de l’absence de conseil dès l’interpellation, pour ne citer que ces deux manquements à des instruments internationaux,ne cessent pas avec le versement de la réparation pécuniaire.
Ils ne peuvent cesser que par les conséquences de droit que la Cour en aura tiré, dans le ré-examen de l’affaire à savoir l’annulation des actes viciés.
En l’espèce par l’annulation de toute la procédure.
Dès lors , il en résulte que l’arrêt impacte bel et bien la procédure en cours .
Affirmer l’inverse, c’est soutenir un déni de justice.
3- l’obligation d’éviter la répétition de l’illicite .
Il appartient aux autorités de l’Etat à savoir le Ministre de la justice , au Premier Président de la Cour suprême, aux Procureurs généraux et de la République , d’instruire les magistrats et les enquêteurs d’éviter, dans le futur , les manquements pour lesquels l’Etat du Sénégal a été condamné.
Viola les trois obligations cumulatives que l’exécution de l’arrêt impose au Sénégal .
Enfin, il y a lieu de rappeler que la Cour de la Cedeao applique, en général, la doctrine de la marge nationale d’appréciation.
Autrement dit , son principe est de laisser les organes internes de l’Etat condamné, mettre en œuvre sa décision.
La cour n’indique de décision le plus souvent qu’à titre exceptionnel.
Notamment lorsqu’il y a urgence c’est -a-dire lorsque l’absence de décision de sa part est de nature à entraîner une conséquence irréparable.
Il en a été ainsi lors de l’arrestation du Président Tandja Mamadou du Niger , où la cour a ordonné sa remise en liberté immédiate.
En effet, il était difficile voire impossible de trouver un Procureur ou un juge ,dans l’ordre interne, pour remettre en liberté, un Président renversé par un coup d’Etat .
Déjà qu’il est impossible d’en trouver pour libérer un Maire , dans un régime civil censé, être un État de droit , comme celui du Sénégal.
La cour prend aussi des mesures individuelles c’est-à-dire accorde à des victimes , des réparations pécuniaires , lorsque le système interne , n’est pas en mesure de réparer leur préjudice .
Dans le cas qui nous occupe, le juge pénal n’est pas en mesure de condamner l’Etat à réparer les actes illicites relevés par la cour et dont les prévenus- victimes ont souffert .
Au vu de ce qui a été dit , il y a un fort risque de survenance de déni de justice et de perpétuation de l’illicite, dans l’affaire dite de la caisse d’avance de la ville Dakar .