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MAI 68 : Le Sénégal, face à sa première révolution

29 Mai 1968-29 Mai 2018. Dans quelques semaines, cela fera cinquante ans que le Sénégal, jeune nation post-indépendante, connaissait l’une de ses plus grandes crises politico-sociales. afin de marquer d’une pierre indélébile ce vaste mouvement de contestations sociales, différentes manifestations seront organisées en perspective du cinquantenaire des évènements de Mai 68. «L’as» remonte le temps, rembobine le film et retrace les faits saillants de cette manifestation qui a fortement secoué, jusque dans ses fondements, le régime du président Léopold Sédar Senghor.

L’université De Dakar : point de départ de l’expLosion

Comme beaucoup de pays dans le monde, le Sénégal a connu les soubresauts des évènements de Mai 1968 marquée par une série de manifestations étudiantes et de grèves syndicales. Sous l’impulsion d’associations estudiantines comme l’Union des Etudiants de Dakar (Ued) et l’Union des Etudiants du Sénégal (Udes), un vent de rébellion a gagné depuis deux ans le milieu estudiantin. Même si de toutes les publications (ouvrages et revues) consacrées aux évènements de 68, il ressort que la crise a démarré à l’Université de Dakar à la faveur de la révolte des étudiants contre la décision prise par le gouvernement de Senghor d’imposer le fractionnement de certaines bourses et de réduire les mensualités. Auteur du livre «Mai 1968 au Sénégal : Senghor face aux étudiants et mouvement syndical», Omar Guèye (professeur au département d’histoire de l’Ucad) résume parfaitement la situation lorsqu’il soutient : «Le casus belli, une révolte d’étudiants qui mit le feu aux poudres». En effet, la suppression de la première partie du baccalauréat avait entraîné une augmentation du nombre de bacheliers et l’arrivée massive d’étudiants. En raison de cette massification, s’imposaient alors quelques mesures pour faire face à la demande croissante du nombre de bénéficiaires des bourses. Ainsi au début de l’année 1967- 1968, décision a été prise de réduire les bourses qui ne seront désormais versées que pendant dix mois au lieu des douze mois. Dirigeant du mouvement estudiantin de l’époque, le Pr Abdoulaye Bathily cite parmi les causes de la crise de Mai 68 «le statut de l’Université de Dakar». Celle-ci était sous «la tutelle de la France avec un taux de 32% d’étudiants sénégalais contre 27% de Français, 38% d’Africains et 3% de diverses autres nationalités sur les 3109 inscrits. Sur le plan économique, ce sont les Français qui étaient aux commandes. Et idem du côté de l’appareil étatique où les ministres étaient contrôlés par l’autorité française», soulignait le célèbre historien lors de la commémoration du 47e anniversaire des évènements en 2015.

La baisse des bourses mit le feu aux poudres

Après un appel le 18 mars, l’Union des étudiants sénégalais (Udes) dirigée par Mbaye Diack observe une grève de protestation le 18 mai avant de tenir, le 24 mai, une assemblée générale au cours de laquelle elle décrète le début d’une grève générale et illimitée à partir du 27. C’est le début d’une série de manifestations qui a connu l’escalade le 29 mai avec l’intervention musclée de la Police au sein du campus. Une situation chaotique avait remplacé l’animation habituelle au sein de l’université. «La sévère répression, qui s’en suivit, suscita l’indignation au sein des autres communautés et provoqua un vaste mouvement de soutien : d’abord les élèves des lycées environnants qui volèrent au secours de leurs aînés ; ensuite les travailleurs indignés par tant de brutalité qui se mobilisèrent au sein de l’Union Nationale des Travailleurs du Sénégal (Unts) et plus tard, tous les autres sympathisants qui trouvaient par là un moyen d’exprimer leur état d’âme vis-à-vis du pouvoir», raconte l’historien Omar Guèye dans son livre. Selon les sources officielles, la répression a débouché sur la mort d’une personne au moment où 69 blessés sont dénombrés. La contestation gagne désormais l’ensemble des établissements scolaires, toutes les régions et l’Unts (principale organisation syndicale) qui déclenche une grève générale. Les bâtiments institutionnels et les résidences abritant les dignitaires du pouvoir sont attaqués par les manifestants. Dans la capitale, la grève est totale au matin du 31 mai. Ce même jour, les syndicalistes qui se réunissaient à la Bourse du travail sont massivement arrêtés par l’Armée qui avait investi la Médina. Environ 200 personnes, dont tous les leaders syndicaux sont mis dans le panier à salade vers 10 heures. Les seuls qui ont pu sauver leur peau sont Ibrahima Diallo des Chemins de fer et David Soumah qui n’étaient pas à la Bourse du travail. Des émeutes éclatent en centre-ville où les manifestants pillent et saccagent les magasins tenus par des Européens, brûlent des pneus, caillassent des voitures. Entre arrestations, déportations et fermeture du campus et des établissements scolaires En guise de représailles et conformément aux conseils du Général Jean Alfred Diallo, le régime du Président Senghor réquisitionne l’Armée et procède à des arrestations massives d’étudiants. «Comme l’avait pré- dit le Président Senghor, il fut décidé le rapatriement, dans leurs pays d’origine, des groupes d’étudiants non Sénégalais appréhendés. 1047 étudiants étrangers furent ainsi rapatriés, par avion, au cours des jours suivants. Quant aux étudiants séné- galais au nombre de 353, ils furent internés jusqu’à nouvel ordre au camp Archinard de Ouakam». Les principaux responsables syndicaux arrêtés, eux, furent déportés et internés, loin de la capitale. La plupart ont été acheminés à Dodji (département de Linguère). Les autres syndicalistes étaient assignés à résidence en Casamance, à Podor, à Matam, à Bakel et à Kédougou. La stratégie du régime consistait à déstabiliser le mouvement syndical en s’attaquant à sa direction, ce qui décapita le mouvement en ne laissant que des seconds couteaux à Dakar», renseigne l’historien Omar Guèye dans son essai. Senghor décrète l’état d’urgence et fait intervenir l’Armée. Aux côtés de la Police et de la Gendarmerie, la grande muette joua un rôle décisif dans la crise. Car l’ordre de tirer qu’elle a reçu a eu un effet dissuasif chez les manifestants et les populations qui mesuraient ainsi la gravité de la situation. Malgré l’autorisation qui leur avait été donnée de faire usage de leurs armes, selon l’enseignant au département d’histoire de l’Ucad, les forces de l’ordre n’ont jamais perdu leur sang froid. Parallèlement à ces actions musclées, les établissements scolaires de la capitale sont fermés à l’image de l’université. Esseulé et n’ayant pas bénéficié du soutien des dignitaires de son parti, Senghor qui est monté au créneau «pour se défendre et défendre son régime» décide de faire intervenir les militants de l’Ups du Sine Saloum et de la région de Diourbel. Arrivés le 1er juin, après la journée de feu, ces derniers n’ont pas pu agir.

comment Senghor a résolu la crise

Pour désamorcer la bombe et apaiser la colère des manifestants (étudiants, syndicalistes), le Président Senghor, dont le régime a été rudement secoué par les évènements, prend d’importantes mesures. C’est ainsi qu’il procède le 5 juin à un remaniement gouvernemental. Amadou Mokhtar Mbow qui était sur la sellette après la crise à l’université quitte l’Education nationale, cède son fauteuil à Assane Seck et atterrit à la tête du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Son pré- décesseur à ce poste, Amadou Racine Ndiaye, quitte définitivement le gouvernement. Le ministère des Forces armées est supprimé et placé sous le contrôle du Président Senghor. Amadou Cissé Dia est débarqué du poste de ministre de l’Intérieur et remplacé par Amadou Clédor Sall. Précédemment ministre des Affaires Etrangères, Alioune Badara Mbengue passe son portefeuille à Karim Gaye. Par ailleurs, les marabouts et chefs religieux musulmans (le khalife général des mourides Serigne Fallou Mbacké, Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, El Hadji Modou Awa Balla Mbacké, El Hadji Ibrahima Niass) affichè- rent leur soutien à Senghor. Ce, contrairement aux Pères Dominicains qui ont exprimé une position particulièrement critique vis-à-vis du pouvoir. «En effet, les Pères Dominicains du Centre Lebret apportèrent un soutien de taille aux étudiants pendant les journées de braise», d’après le livre «Mai 68 au Sénégal : Senghor face aux étudiants et au mouvement syndical»). La crise désamorcée, le travail repris, le Gouvernement décidé enfin d’ouvrir les pourparlers avec les travailleurs. Ainsi du 8 au 12 juin, se déroulent des négociations tripartites entre le Gouvernement, le patronat et les syndicats des travailleurs. Le 13 juin, les différentes parties signent des accords qui mettent fin à la grève des travailleurs. Concernant l’université, des réformes sont adoptées dans le souci de mettre fin à la crise. Et c’est le 14 septembre au terme d’une deuxième séance de négociations tenue à la salle du Conseil des ministres que des accords furent trouvés entre les étudiants et le Gouvernement. Mbaye Diack, président de l’Udes, dirigeait la délégation des étudiants. Tandis que la délégation gouvernementale était conduite par Emile Badiane, ministre de l’Enseignement Technique. Après des mois de crise, survint enfin le dénouement.

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