Au Sénégal, une nouvelle loi électorale déchaîne l’opposition
Les députés sénégalais ont voté, jeudi 19 avril, la généralisation du parrainage pour tous les candidats aux élections. Pour l’opposition, c’est une « manœuvre politique » du pouvoir pour écarter ses concurrents avant la présidentielle de 2019.
L’opposition sénégalaise ne décolère toujours pas après l’adoption par le parlement, le jeudi 19 avril, d’une réforme controversée du code électoral qui généralise la notion de parrainage à tous les candidats aux élections, qu’elles soient locales, législatives ou présidentielle. Une loi qui prévaudra lors de la prochaine présidentielle de février 2019.
Le jour du vote, des manifestations de protestation dans les rues de Dakar ont donné lieu à des échauffourées entre forces de l’ordre et protestataires. Une cinquantaine de personnes ont été arrêtées, selon la police, parmi lesquelles une dizaine de leaders de l’opposition comme l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, et Malick Gakou, ancien ministre et candidat à la présidentielle à venir. Ils ont été libérés le lendemain, vendredi 20 avril.
“Nous sommes encore très en colère. C’est une loi qui tue la démocratie. Le président Macky Sall agit depuis six ans sur le processus électoral pour prendre une longueur d’avance sur ses concurrents”, s’insurge Cheikh Bamba Dièye, leader du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno Jubel (FSD/BJ), un parti d’opposition, contacté par France 24.
Faire « progresser la démocratie »
Le nouveau code électoral adopté par les députés de l’Assemblée nationale, où le pouvoir dispose d’une majorité confortable, impose aux candidats de recueillir les signatures de 65 000 électeurs – soit 0,8% du corps électoral, répartis dans au moins sept régions du pays. Un électeur ne pourra parrainer qu’un candidat à la fois.
Jusque-là, le recours au parrainage n’était imposé qu’aux candidats indépendants. Et seulement 12 000 signatures de citoyens-électeurs étaient requises.
L’objectif affiché par le gouvernement est de faire “progresser la démocratie” en évitant les candidatures fantaisistes à l’élection présidentielle. « On a 300 partis politiques aujourd’hui, et il y en a encore une vingtaine en dépôt, on pourrait aller à 500 voire 600. Si l’on ne rationalise pas les candidatures, il arrivera un moment où nous serons bloqués dans l’élection. Nous devons anticiper cela. Nous devons faire un filtre citoyen. Chaque citoyen est libre de parrainer. On avait dit 1%, on a finalement baissé à 0,8 % », a affirmé Macky Sall lors de sa visite à Paris, vendredi 20 avril, où il a été reçu par Emmanuel Macron.
Le gouvernement dit surtout craindre de voir une inflation de candidatures pour la prochaine présidentielle. Lors des élections législatives en juillet 2017, il y avait 47 listes différentes. “Ce qui fait qu’à la présidentielle, on va avoir aussi 47 candidats, ce qui est quand même inadmissible”, a affirmé Ismaila Madior Fall, le ministre sénégalais de la Justice, au micro de RFI.
La réforme permettra aussi de réduire les coûts liés à l’organisation des élections, avance le pouvoir. En juillet 2017, l’État avait consacré un budget de près de 24 millions d’euros à l’organisation des législatives, selon le ministre de la Justice. “C’était la pagaille ! Nous ne sommes pas un pays qui va consacrer tout son budget à organiser les élections”, a prévenu Ismaila Madior Fall.
Une manœuvre politique, dénonce l’opposition
Mais l’opposition, déjà privée de deux de ses ténors Karim Wade et Khalifa Sall – le premier en exil au Qatar et le second en prison depuis plus d’un an pour détournement de deniers publics -, voit en cette loi une manœuvre politique du gouvernement pour “assurer le maintien de Macky Sall” au pouvoir.
Les différentes formations de l’opposition « n’ont pas les moyens de contrôler la manière dont les signatures sont validées au ministère de l’Intérieur car ils n’y ont pas de représentants », explique à France 24 Mohammed Fall, un analyste politique sénégalais. Ainsi, lors de la présidentielle de 2012, la candidature de la star sénégalaise Youssouf N’dour, alors opposé à Abdoulaye Wade, avait été rejetée pour défaut de parrainages. Le Conseil constitutionnel avait estimé que seules 8 900 des signatures présentées par l’artiste avaient pu être identifiées et validées. Un « coup de force » du président en place, avait alors dénoncé le chanteur.
“Macky Sall use de la loi constitutionnelle uniquement pour ne pas avoir de concurrent et gagner la prochaine élection, affirme Cheikh Bamba Dièye, qui balaie les arguments du gouvernement. C’est le pouvoir qui a multiplié les candidatures au niveau des législatives. Ils ont payé les cautions des candidats. Maintenant que, pour la présidentielle, la prolifération de candidats ne les arrange pas, ils reviennent par la porte dérobée pour parler de rationalité et d’intérêt économique.”
L’opposition entend déposer des recours devant le Conseil constitutionnel. L’ancien Premier ministre Idrissa Seck a aussi appelé la société civile à se joindre à lui pour attaquer la loi devant la cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).