Lettre au C.C : Babacar Gaye corrige Mimi Touré et Guy Marius Sagna
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, la lettre par laquelle Aminata Touré et Guy Marius Sagna ont sollicité , es qualité, l’arbitrage du Conseil constitutionnel. Ils se fondent sur les dispositions de l’ article 92 alinéa 1 de la Constitution en vertu duquel « Le Conseil Constitutionnel connaît de la constitutionnalité (…) (sic), des conflits de compétence entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif (…) ».
Prenant comme prétexte ledit document, je voudrais donner un avis technique sur les exigences de la rédaction administrative, et le cas échéant, sur la recevabilité et les chances de succès d’une telle requête.
Observations de forme
1. Exigences de la lettre administrative
La « lettre » ayant pour objet la « saisine en arbitrage pour conflit de compétences entre le Pouvoir Exécutif et le Pouvoir Législatif », ne répond pas aux normes d’une lettre administrative encore moins celles d’une requête juridique.
D’abord, au-delà des emblèmes de la République usurpés, dans une lettre administrative (requête), l’en-tête toujours placé en haut et à gauche de la page doit renseigner sur l’entité d’attache, l’identité , la qualité et l’adresse de l’expéditeur. A droite, le lieu et la date d’émission du courrier. Ces formalités n’ont pas été respectées.
Ensuite, la requête de nos députés est adressée « A Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel (sic); plusieurs destinataires d’une même Institution !
Or, aux termes de la loi organique N°2016-23 du 14 juillet 2023 (NDLR : 2016 ?), « le Conseil constitutionnel est saisi par requête adressée à son Président et déposée au greffe ».
2. Clarté , précision et concision du style
Dans le courrier objet de mon avis, il est mentionné :
« Pendant la session ordinaire unique…
– un jour, au moins, par semaine est réservé aux questions d’actualité « .
Or l’article 92 de la loi organique portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale est précis et fait la différence entre « questions d’actualité » propres à l’Assemblée nationale et « questions d’actualité au Gouvernement ».
In extenso, le dernier alinéa de l’article 92 précité:
« Pendant la session ordinaire unique
– un jour, au moins, par quinzaine déterminée à l’avance est réservé aux questions orales
– un jour, au moins, par semaine est réservé aux questions d’actualité ,
– un jour, au moins, par mois est réservé aux questions d’actualité au Gouvernement. »
Manifestement, en faisant référence au deuxième tiret de cet alinéa, la requête pêche par
inexactitude et a sciemment tronqué le dernier tiret qui renferme les dispositions légales qu’elle aurait dû rappeler
Dans un prochain texte, j’approfondirai les règles afférentes à l’utilisation de la majuscule dans la nomenclature des organes et titres. Quelques exemples:
Le Conseil Constitutionnel
La Haute Cour de justice du Sénégal
Le président de la République a reçu le Premier ministre et le ministre de la Justice Mais on écrit Le Président Macky Sall
Le maire de Dakar
Le Grand Théâtre etc.
Observations de fond
1. Vice ratione materiae
Dans l’objet de la requête, il est mentionné « Saisine en arbitrage pour conflit de compétences entre le Pouvoir Exécutif (sic) et le Pouvoir Législatif (resic) ».
Et dans le corps de la requête il est fait référence aux dispositions de l’article 85, alinéa 2 de la Constitution en vertu duquel « Les députés peuvent poser au Premier Ministre et aux autres membres du Gouvernement, qui sont tenus d’y répondre,(…) des questions d’actualité ».
Aux termes de l’article 92 (alinéa 1er) de la Constitution, il y a « conflit de compétences entre l’Exécutif et le Législatif » lorsque le président de la République prend un acte qui est du domaine de la loi limitativement énuméré ou lorsque l’Assemblée a adopté une loi dont la matière est du domaine réglementaire. Il y a manifestement erreur d’imputation du « litige ».
2. Vice ratione personae
Dans les deux cas évoqués supra, seuls peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour arbitrage, le président de la République ou le Premier ministre, l’Assemblée nationale ou un groupe de députés dont le nombre est fixé par la loi.
A mon avis, Aminata Touré et Guy Marius Sagna n’ont pas qualité à agir pour réclamer un arbitrage d’un conflit qui n’existe pas.
3. Vice ratione temporis
La question d’actualité du requérant à été déposée le 19 décembre 2022 au bureau de l’Assemblée nationale qui doit en informer le Gouvernement et mettre en rôle par la Conférence des présidents qui fixe la date de la séance qui est consacrée à son examen. Alors questions:
– Est-ce-que la Conférence des présidents s’est réunie ?
– Le cas échéant, quelle est la date qui a été fixée pour l’examen de la question d’actualité ?
C’est seulement après que l’on peut apprécier des délais impartis pour l’examen de la question d’actualité au Gouvernement qui doit impérativement se faire dans le mois. (Article 92 in fine du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale)
4. Défaut de motifs
Dans leur requête les députés déclarent « constater le refus injustifié du Gouvernement de se soumettre à ses obligations constitutionnelles ». Le Gouvernement a-t-il exprimé officiellement un refus circonstancié à une saisine de l’Assemblée nationale ? Le cas échéant, le requérant devrait fournir au Conseil constitutionnel la preuve écrite du Gouvernement de se soustraire à ses obligations.
En conclusion, nous devrions être plus rigoureux en rédigeant un courrier destiné à l’administration publique et éviter des erreurs de procédure manifestes dans la mise en œuvre de nos légitimes revendications et prérogatives.
Le Conseil constitutionnel serait fondé à déclarer irrecevable pour plusieurs vices de forme, la saisine de nos vaillants députés. Et si par extraordinaire, il décide de l’examiner, la rejeter pour incompétence et/ou absence de motifs valables.
Il est impératif aussi que l’on apprenne à promouvoir une bonne rédaction administrative au niveau des différents démembrements de l’Etat, mais aussi à maîtriser les rapports entre les Institutions de la République et leur mode de fonctionnement.
*Diplômé du cycle B de l’ENAM et major de la promotion 86-88
Ancien député
Ancien ministre d’Etat