Sanctions contre la Russie: «Il faut aller plus loin et frapper les avoirs de Poutine»
Le président américain Joe Biden était au téléphone avec de hauts responsables de la Sécurité nationale quand son homologue russe Vladimir Poutine a annoncé l’invasion de l’Ukraine, très tôt ce jeudi 24 février. Benjamin Haddad, directeur Europe du think tank Atlantic Council à Washington, revient sur la politique des États-Unis et de l’Alliance atlantique dans cette crise.
RFI : Le renseignement américain avait finalement vu juste et pourtant, cela n’a pas empêché l’inévitable…
Benjamin Haddad : Effectivement. Les Américains avaient non seulement prévu cette invasion, quasiment au jour près, mais mis en garde contre une invasion massive qui pourrait même viser à décapiter le régime à Kiev. Beaucoup d’efforts diplomatiques ont été menés, notamment par les Européens, ces dernières semaines pour essayer d’empêcher cette invasion. Vladimir Poutine a choisi la violence. Il a tourné le dos à la diplomatie. Mais la stratégie américaine avait plusieurs objectifs.
L’un de ces objectifs était évidemment de pousser à un effort diplomatique : cela a échoué. L’autre objectif était de préempter le discours et la propagande russes, pour pouvoir faire en sorte qu’en cas d’invasion, la Russie ne puisse pas avancer un prétexte fallacieux, comme un incident à la frontière. Afin aussi de permettre de mobiliser les alliés en réponse, que ce soit en termes de sanctions économiques ou de soutien à l’Ukraine. Cela a plutôt bien fonctionné puisque le front est assez uni et ferme contre cette agression.
Enfin, le dernier objectif des États-Unis était aussi de pousser à l’évacuation des ressortissants américains d’Ukraine, ces dernières semaines.
La communication américaine sur les mouvements de troupes russes à cette frontière russo-ukrainienne a été quasi quotidienne. Cette stratégie n’a pas dissuadé Vladimir Poutine de mettre son plan en œuvre.
Non, ça n’a pas dissuadé Vladimir Poutine. Autour de Joe Biden, beaucoup de personnes ont été traumatisées par l’ingérence russe dans la campagne d’Hillary Clinton en 2016. Les think tank de Washington ont beaucoup travaillé ces dernières années sur les questions de contre-désinformation, de contre-propagande russe. Il y avait vraiment la volonté, de la part des États-Unis, de prendre le contrôle du narratif, du récit et de ne pas laisser à la Russie la possibilité d’imposer ses thèmes de propagande. On a vu par exemple les Russes, ces derniers jours, parler de « génocide » dans le Donbass, beaucoup d’inventions. Et je crois que de ce côté-là, clairement, les objectifs de la Russie ont pu être dénoncés à l’avance.
Des sanctions ont été annoncées en amont de cette invasion. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une politique inefficace, un levier trop faible ?
C’est un levier qui n’est pas parfait, c’est certain. Il ne faut pas non plus le sous-estimer car en 2014-2015, les sanctions avaient tout de même réussi à freiner la Russie et avaient abouti à un cessez-le-feu. Mais ce n’est pas un instrument magique. Il faut aller beaucoup plus loin, aller au-delà de ce qui a été fait la dernière fois en isolant au maximum Poutine et ses proches : frapper le régime russe, les avoirs de Vladimir Poutine et de ses proches, des oligarques proches du pouvoir, qui cachent de l’argent et des villas en Occident. Il faut révéler à la population russe ce que l’on sait de la corruption de ce régime.
Ce sont là les quelques « carottes et bâtons » qu’il reste entre les mains de Joe Biden, pour reprendre l’expression du New York Times ?
Oui, mais il faut aussi soutenir l’Ukraine sur le plan économique et sur le plan militaire. Les Américains l’ont dit et répété : ils ne se battront pas pour l’Ukraine. Les quelques militaires américains encore présents en Ukraine se sont retirés la semaine dernière. Il faudra en revanche apporter aussi de la réassurance aux alliés de l’Otan en Europe centrale et orientale, qui sont eux-mêmes menacés par ce révisionnisme russe de Vladimir Poutine depuis des années.
Pas d’envoi de troupes américaines, en effet, sur le sol ukrainien. La réaction militaire pourrait-elle se faire via l’Otan ?
Ni l’Otan, ni les États-Unis ne se battront pour l’Ukraine. Il n’y aura pas non plus de troupes de l’Otan en Ukraine. En revanche, on peut songer à d’autres types de soutien comme des livraisons d’armes et un soutien économique et financier.
La presse américaine salue l’unité des alliés de l’Otan. Cette unité ne risque-t-elle pas de se déliter au fur et à mesure que l’invasion russe se poursuit ?
Je ne le crois pas. Je pense que c’est un vrai tournant dans l’histoire européenne, pour la sécurité collective. La France et l’Allemagne ont poussé les efforts diplomatiques jusqu’au bout. Emmanuel Macron a parlé à Vladimir Poutine à de nombreuses reprises et la Russie a fermé avec violence la porte à la diplomatie. Je pense que c’est un réveil pour le continent. On voit une unité transatlantique très forte qui, à mon avis, va durer.
Exclure Moscou du système Swift, ce système international de transactions interbancaires, est-il l’arme ultime ?
Avant l’invasion, certains pays européens, comme l’Allemagne, étaient sceptiques. Là, je pense que les images de violence venues d’Ukraine vont réveiller les consciences. Mais au-delà du système Swift, je pense que des sanctions directes visant les oligarques et les dirigeants russes, ainsi que leurs proches, sont extrêmement importants.
Sur le plan intérieur maintenant, cette guerre intervient dans un contexte politique de division aux États-Unis. Est-ce que cela peut encore creuser davantage le fossé ?
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C’est possible. C’est un peu paradoxal, car on observe d’un côté des républicains qui attaquent Joe Biden en disant qu’il a été trop faible dans sa réaction face à Vladimir Poutine ; et à l’inverse, d’autres de la branche plutôt trumpiste, populiste, pro-Poutine, qui s’alignent sur le discours de propagande russe. C’est le cas par exemple de Tucker Carlson, le présentateur vedette de Fox News, qui a décidé de totalement épouser les éléments de langage du Kremlin.
Est-ce un défi pour Joe Biden dans ce contexte d’année électorale aux États-Unis ?
Oui et pour l’instant, il le relève en ayant été très clair sur la communication et la dénonciation de la désinformation russe. Il le relève aussi en mobilisant les alliés, ce qui a permis d’annoncer très vite des sanctions. Mais c’est effectivement une crise qui va être très difficile à gérer pour la Maison Blanche dans les prochains mois.
Il doit prononcer son traditionnel discours sur l’état de l’Union la semaine prochaine. Une allocution qui intervient cette année dans un contexte très particulier…
Joe Biden a mis au cœur de son discours de campagne le renouveau du leadership américain, la défense de la démocratie libérale et les alliances, notamment l’Alliance transatlantique. Il a essayé d’avoir une relation constructive avec Vladimir Poutine, de recréer une relation stable et prévisible. C’était la stratégie de la Maison Blanche. Donc quand on entendra Joe Biden parler des alliances, parler de la défense de la démocratie en Europe, ce sera tout à fait cohérent avec son parcours politique de ces dernières décennies.
- Toutinfo.net avec RFI