Politique

CHRONIQUE DE MAME GOR NGOM : Heures graves ouest-africaines

POINT DE VUE : Les coups et le feu dans plusieurs casernes au Burkina Faso ne sont que la suite logique des manifestations inhérentes à un climat social et sécuritaire désastreux.  Si certaines informations pessimistes font état d’ »une prise de pouvoir par l’armée » vite démentie, c’est que les heures sont graves. 

 Le pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré est d’une telle fragilité. Il n’a pas su faire face aux violences jihadistes qui s’accroissent dans son pays. Les militaires, grande muette, ont longtemps rouspété en silence. Les populations ont non seulement dénoncé la gestion approximative de cette crise mais l’implication de la France qu’elles jugent très peu sincère. Des convois de l’armée française ont été même bloqués par des Burkinabés excédés et en furie. 

Les tirs entendus dans le camp militaire   Baba Sy à Ouagadougou, à la sortie sud de la capitale, et à la base aérienne proche de l’aéroport, à Kaya, Ouahigouya, dans le nord et dans d’autres villes à l’intérieur du pays, sont illustratifs d’un chaos en cours. Les appels aux manifestations et les cris d’orfraie sont toujours vifs. Au-delà d’une crise économique et sociale difficile, les contestataires disent tout leur soutien à une armée dépourvue de moyens presque laissée à elle-même, exposée, humiliée, tuée à petits feux. La mort samedi dernier de deux soldats dans l’explosion d’un engin artisanal dans le nord burkinabè, ajoutée à d’autres drames analogues, justifie largement le malaise ambiant. Un bilan macabre à plus d’un titre. Plus de 2 000 morts depuis 2015, plus de 1,5 million de personnes déplacées. Et le mal se poursuit. Le siège du parti au pouvoir incendié. Le climat est donc si sale du côté de Ouagadougou. Kaboré voit du feu, écrivions-nous.  

S’il y a autant de frayeur et beaucoup de frilosité c’est que tout est devenu inflammable. Le mal rôde. L’odeur nauséabonde du sang. Après l’arrestation de militaires accusés de tentative de coup d’Etat, les autorités en rajoutent une couche. Elles ont décidé de restreindre l’accès au réseau social Facebook « pour des raisons de sécurité ». Un geste désespéré qui inquiète et met en exergue une psychose tenace qui s’est installée au pays des « hommes intègres ». 

Une peur qui se comprend et s’explique.  Le Burkina, à l’image de ses voisins du Niger et du Mali, est en butte à des secousses enclenchées par des terroristes qui prennent leur aise.  La situation si délétère à tel point qu’il est impossible de ne pas penser au Mali voisin qui est en plein dans un cycle de coups d’État. Celui d’août 2020 qui a eu raison d’Ibrahima Boubacar Keïta, ne cesse de faire des vagues et des répercussions dans un Sahel meurtri. Pire, comme le note Alain Antil, chercheur à l’Institut des relations internationales (IFRI), au Mali et au Burkina Faso, les services de sécurité sont quasiment effondrés. La corruption, les détournements d’argent et de matériel massifs expliquent une situation catastrophique. Enfin, les armées sont souvent sous-dimensionnées par rapport à la taille des territoires à sécuriser. Ces goulots ont été à l’origine de la chute d’Ibrahima Boubacar Keïta après des mois de massives manifestations. Si la junte en place a fait appel aux Russes Wagner, c’est aussi pour venir à bout d’éléments de la terreur qui ont le vent en poupe dans des territoires abandonnés.

Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) devenu par la suite Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), et le Groupe sunnite pour la prédication et le jihad, Boko Haram ont fini d’étendre leurs tentacules dans des zones de « non droit » où ils cohabitent avec des bandes armées qui attirent de plus en plus de jeunes désœuvrés. 

Inquiétudes démocratiques 

Le président Kaboré a plusieurs raisons de ne pas être tranquille. Le serpent d’Ibk pourrait bien le mordre. Face aux nombreuses incertitudes, aux doutes multiples, aux interrogations sans réponses valables, aux équations alambiquées, tout est possible. Tous les scénarios catastrophiques. La solution n’est pas d’agir avec passion et dans le désordre.  Elle n’est pas dans la restriction des libertés et des réseaux sociaux. Elle doit être intelligente, concertée, bien articulée, inclusive. Il faut de l’engagement réel et une volonté politique non feinte pour des gages de confiance. 

Heurts graves au Burkina Faso, au Mali où un soldat français a été tué, en Guinée incertaine et ailleurs en Afrique de l’Ouest. L’heure est moins grave au Sénégal. On a voté partout dimanche dans un calme relatif. Il y a beaucoup de dysfonctionnements qui ne peuvent toutefois pas remettre en cause la « sincérité du scrutin » dans un pays tellement habitué à la voie des urnes. Les résultats de ces élections locales risquent de n’avoir aucun impact sur le vécu des citoyens souvent relégués au dernier plan par des gouvernants préoccupés par le scrutin du lendemain et par leurs privilèges. Ce qui fait que les élections constituent de moins en moins une bonne mesure pour la démocratie… tropicale. Ici, elles ne sont plus des garanties pour préserver une démocratie piétinée. Et les coups d’Etat ont de plus en plus droit de cité dans nos républiques qui boitent. S’ils semblent être salués par des populations victimes du mal des pouvoirs, ce n’est que le reflet de la gravité de l’heure.

MAME GOR NGOM