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DETENUS MORTS EN PRISON : Silence, on meurt dans nos prisons

Le décès en détention, à la veille du grand Magal de Touba, de l’émigré Cheikh Niasse, vient allonger la longue liste des détenus morts dans les prisons sénégalaises et dont les disparitions sont très souvent passées par pertes et profits. Dans la plupart des cas d’ailleurs, il n’y a aucun coupable, aucune condamnation.

Qu’est ce qui est à l’origine de la mort de Cheikh Niasse ? Mystère et boule de gomme. Et le plus déplorable dans cette affaire, comme d’ailleurs dans les autres qui l’ont précédées, c’est que c’est motus et bouche cousue au sein de l’administration policière et judiciaire. Que ce soit à la police de Wakhinane Nimzatt où il a été appréhendé et gardé à vue, ou au Camp Manuel où il a été incarcéré suite à son placement sous mandat de dépôt, aucune explication n’a été jusque là donné. La mort de Cheikh Niasse, du nom de cet émigré sénégalais venu de la France pour célébrer dans son patelin, le grand Magal de Touba, demeure jusqu’ici un mystère total. Mais ce n’est pas le premier détenu mort en détention dans des circonstances douteuses. Il vient s’ajouter à une liste déjà longue. En effet, plusieurs cas de décès en détention ont été recensés dans le dernier rapport alternatif de la FIACAT et de l’ACAT Sénégal pour l’examen du 5ème rapport périodique du Sénégal par le Comité des droits de l’Homme. Le document parcouru par L’Info, cite le cas d’Ibrahima Mbow. Détenu provisoirement pour recel, il a été tué d’une balle lors d’une mutinerie à la maison d’arrêt et de correction de Rebeuss en septembre 2016. Au cours de cette mutinerie, 41 autres personnes ont été blessées dont 14 gardiens de prison. 

Babacar Mané et Cheikh Ndiaye, respectivement âgés de 17 et 18 ans, sont décédés le 29 août 2019 à la prison de Rebeuss suite à un mouvement de panique causé par des étincelles venant du ventilateur. D’après l’autopsie faite par le docteur Ibou Thiam, les deux détenus sont décédés d’un arrêt cardiocirculatoire par électrocution et présentaient des lésions de brûlures électriques au niveau des épaules et des poignets et une congestion généralisée et intense des viscères. Ils y a aussi le cas de Sény Sané, du nom du chef du village de Toubacouta en Casamance qui est décédé le 1er août 2019 dans le pavillon spécial de l’hôpital le Dantec lors de sa détention. Son fils dénonce le fait qu’on l’a maintenu en prison alors qu’il était très malade. Le cas de Louis Dieng est aussi frais dans les mémoires. Ce jeune homme est décédé à la maison d’arrêt et de correction de Mbour dans la nuit du 19 au 20 février 2019. D’après les informations officielles, il serait décédé d’une crise aigüe d’asthme alors qu’il partageait sa cellule avec 87 détenus. Le dimanche 31 mars 2019, c’est le détenu El Hadji Ousmane Diop, arrêté à Nord-Foire pour prostitution, proxénétisme et blanchiment de capitaux, qui est décédé à la prison de Rebeuss. D’après l’autopsie, il aurait été victime d’un accident vasculaire cérébral. Deux mois plus tard, le détenu Serigne Fallou Ka, âgé de 23 ans et incarcéré depuis le 29 avril 2019, est décédé le 2 mai 2019 à la maison d’arrêt et de correction de Diourbel. D’après certaines sources, il aurait été tabassé à mort par trois policiers et un agent de sécurité de proximité du commissariat de Mbacké. Les auteurs ont été inculpés.

Face à l’ampleur du mal, la FIACAT et l’ACAT Sénégal avaient invité le Comité des droits de l’homme à recommander au Sénégal de veiller à ce que tous les décès en détention fassent l’objet d’enquêtes approfondies et impartiales et que les responsables soient poursuivis et sanctionnés proportionnellement à la gravité de leurs actes.

Des actes de torture toujours visés…

La plupart des détenus morts en prison, l’ont été selon leurs proches, suite à des actes de torture. Et pourtant, la torture est incriminée à l’article 295-1 du Code pénal. Cet article dispose : «constituent des tortures, les blessures, coups, violences physiques ou mentales ou autres voies de fait volontairement exercés par un agent de la fonction publique ou par toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec consentement express ou tacite, soit dans le but d’obtenir des renseignements ou des aveux, de faire subir des représailles, ou de procéder à des actes d’intimidation, soit dans un but de discrimination quelconque».

Des allégations de torture continuent d’être recensées. A titre d’exemple, le cas d’Elimane Toure maintenu en garde à vue pour avoir proféré des menaces de mort, qui se serait suicidé le 19 février 2017 au Commissariat spécial du port de Dakar ; ce que la famille conteste. Le médecin légiste a conclu à une asphyxie mécanique suite à une pendaison ayant entrainé une luxation du rachis cervical. Suite à ce décès, le commissaire spécial du port a été relevé de ses fonctions. Autre exemple, l’affaire des policiers de Mbacké qui avaient « oublié » dans la malle de leur voiture une personne arrêté, Ibrahima Samb dans la nuit du 19 au 20 octobre 2013. D’après l’autopsie, Ibrahima Samb est décédé des suites d’un mécanisme d’hypoxémie-hypercapnie en atmosphère confinée ayant entraîné une détresse respiratoire et des troubles sanguins avec hémorragies pétéchiales poly viscérales et tâches hémorragiques pulmonaires de Tardien. Plusieurs fractures au cou et dans les membres inférieurs ont également été constatées. Les quatre policiers impliqués, Almani Touré, Thiendella Ndiaye, Mahécor Ndong et Ousmane Ndao ont été arrêtés à Mbacké puis jugés et condamnés, en première instance, à 10 ans de prison ferme, pour acte de barbarie en première instance. En appel, leur peine a été réduite de moitié, après que les délits aient été requalifiés en violences et voies de faits ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Des poursuites sont généralement engagées après des allégations de torture, mais leur issue laissent les gens sur leur faim. Les sanctions disciplinaires sont généralement systématiques, mais les peines ne sont pas toujours proportionnées à la gravité des actes. Concernant l’inadmissibilité des aveux obtenus par la torture, il n’existe pas de disposition expresse à ce sujet dans le Code de procédure pénale.

La problématique de la garde à vue au Sénégal

La plupart des détenus morts en prison l’ont été soit en garde à vue, soit en détention préventive. Et selon l’article 55 du Code de procédure pénale (CPP), la garde à vue est de 48h renouvelable une fois par autorisation du Procureur de la République. Ce même article prévoit que ces délais sont doublés en ce qui concerne les crimes et délits contre la sûreté de l’Etat, les crimes et délits en période d’état de siège, d’état d’urgence ou d’application de l’article 52 de la Constitution. En outre, l’article 677-28 du CPP dispose : ‘’Par dérogation aux dispositions de l’article 55 du présent code, le délai de garde à vue en matière de terrorisme est de 96 heures. Ce délai peut être prorogé de deux nouveaux délais de 96 heures chacun sur autorisation du juge d’instruction ou du Procureure de la République’’. Ainsi, en matière de lutte contre le terrorisme, le délai maximum de garde à vue est de 12 jours.  En outre, selon La FIACAT, la pratique dite de ‘’retour de parquet’’, reste préoccupante au Sénégal. Par cette pratique, une personne gardée à vue peut être maintenue en détention une nuit ou un weekend dans un commissariat au-delà des délais de garde à vue si un représentant du parquet n’est pas disponible et ce, sans aucun fondement légal. 

Concernant les droits du gardé à vue, l’article 55 du Code de procédure pénale prévoit que le gardé à vue doit être informé de son droit de constituer conseil mais il n’est pas précisé quand cette information doit être donnée au gardé à vue. L’article 56 prévoit quant à lui que le Procureur de la République peut décider d’un examen de la personne gardée à vue par un médecin et que la personne elle-même peut demander un examen médical, mais cet examen est aux frais consignés par la partie requérante. En pratique, note le rapport de la FIACAT, certaines personnes passent parfois plus de 96h en garde à vue dans les locaux des gendarmeries, sans assistance juridique ou sanitaire, avant d’être finalement transférées et présentées au Procureur de la République. Enfin, il convient de noter que les conditions de détention dans les locaux de garde à vue sont souvent mauvaises voire indignes. ‘’On note entre autres l’exiguïté des locaux, le surnombre de gardés à vue, des toilettes sales et parfois sans eau, un mauvais éclairage pour certains locaux, une absence de médecins internes, etc’’. En outre, si le Code de procédure pénale prévoit que si les mineurs de 13 à 18 ans sont gardés à vue, ils doivent l’être dans un local spécial, tel n’est pas le cas en pratique. La FIACAT et l’ACAT Sénégal invitent le Comité des droits de l’homme à recommander au Sénégal de prendre les mesures nécessaires pour garantir en pratique le respect des délais de garde à vue, en luttant, notamment contre la pratique dite de retour de parquet, et des droits de la personne gardée à vue ; d’améliorer les conditions matérielles dans les locaux de garde à vue et veiller à ce que les mineurs soient séparés des adultes.

L’info