ALY KHOUDIA DIAW : « Le Pds est comme un gaillard qui aime se tromper lui-même »
En perspective des locales du 22 janvier 2022, Aly Khoudia Diaw livre son opinion sur la situation socio-politique du pays. Sans ambages, le sociologue estime que ces joutes vont marquer une rupture épistémologique. Et tout ceci, dans un contexte bouillonnant qui risque de faire beaucoup de victimes, de renoncements et de regrets. Dans cet entretien avec l’Info, le sociologue qui croit savoir que ces élections vont apporter une rupture et des adieux aux derniers dinosaures qui sont encore aux commandes., aborde avec lucidité les affaires Kilifeu et Simon, et des députés de BBY cités dans une affaire de trafic de passeport diplomatique. Ceci, avant d’appeler les enseignants à aller se faire vacciner contre la covid-19 pour enrayer la pandémie.
L’info : Quelle analyse faites-vous de la situation politique nationale à quelques mois des élections locales du 23 janvier 2022 ?
Aly Khoudia Diaw : Comme nous pouvons le constater, tout le monde s’agite. Et dans cette agitation, il y a les aventuriers, les nouveaux messies et les frustrés de la vie ou de la politique. Il faut donc faire très attention sur le choix des candidats. Ces élections marquent un tournant, une page qui va se refermer. Elles sont importantes car elles vont marquer une rupture épistémologique par rapport à tout ce que l’on connaissait jusqu’à présent. Rupture et adieux aux derniers dinosaures qui sont encore aux commandes, adieux aux politiciens affairistes, beaux parleurs, improductifs et plusieurs fois séculaires, adieux aux identités remarquables qui ont fait leur temps car la jeune génération a compris qu’en réalité, elles ne représentaient que leurs personnes. Adieux enfin à la vielle galaxie libérale wadienne qui a fait son temps et qui, de toute façon, ne peut plus continuer à exploiter l’image et le nom de Wade pour subsister. C’est un contexte bouillonnant qui risque de faire beaucoup de victimes, de renoncements et de regrets.
Justement, comment voyez-vous la situation au sein de l’opposition où on assiste à un jeu de positionnement à travers la création de coalitions électorales ?
C’est très normal tout ça. Les partis et les coalitions de partis sont en train de se chercher car au Sénégal, on a compris qu’un seul parti ne peut plus gagner les élections. Mais plus encore, il n’existe pas au Sénégal un parti solidement ancré sur ses convictions idéologiques, ses orientations politiques et une méthodologie clairement exprimée pour conquérir le pouvoir. Tous les partis sont à la sauce «soupe kandja». Mais pour tous ce sont les partis du centre gauche ou du centre droit qui sont phagocytés par les grands partis (gauche socialiste ou droite libérale), en l’absence de partis extrémiste au Sénégal. Le danger, dans cette situation, c’est que le marchandage est de rigueur, au détriment de l’idéologie et de la conviction. On est ensemble pour détrôner quelqu’un et dès que c’est fait, les rivalités et les suspicions reprennent. Dans ces coalitions, chacun se donne de l’importance ou revendique un poids politique qu’il n’a pas. L’information stratégique n’est pas verrouillée et les taupes sont omniprésentes. C’est la leçon d’ailleurs qu’a retenu la coalition Yewwi Askan Wi.
En parlant de cette coalition, quel aperçu avez-vous sur sa composition et les conditions dans lesquelles elle est née ?
J’ai eu à discuter avec Khalifa Sall, par l’entremise de Moussa Taye que je salue au passage juste après sa sortie de prison. Ça a été la continuité des échanges que nous avions eus en prison où chaque lundi, Khalifa recevait tous ses amis et sympathisants dans la cour. Nous avons parlé orientation et idéologie de Taxawu Dakar et par extension, Taxawu Sénégal. La première étape, c’est lors de son premier message public à la nation. J’avais bien mentionné à l’époque dans la presse que Khalifa avait fait une profession de foi, avec à la clef, un vaste rassemblement, une nouvelle vision, et une nouvelle orientation de Taxawu Sénégal, ce sur quoi nous travaillons. La deuxième étape, c’est de faire un tour de rencontre et de remerciement à tous ceux qui l’ont soutenu, en discutant de sa nouvelle vision. Après cela, il est allé au Maroc pour se reposer et entre temps, la covid 19 est passée par là et tout le monde est resté en stand-by. Les départs d’Idy et d’Issa Sall ont permis de rapprocher le reste de la classe politique, mais ce sont les événements de mars 2021 qui ont précipité les choses. Ces évènements ont montré qu’un homme pouvait tenir tête, avec l’appui du peuple, à un président. Ces évènements ont montré que ce pouvoir-là n’était plus populaire et l’injustice pouvait être combattue par la rue. Ces évènements ont montré qu’une fois ça passe (Karim Wade), deux fois ça peut passer, mais avec amertume, rancœur et regret (Khalifa Sall), mais que la troisième fois, c’est forcément l’explosion (Ousmane Sonko). A partir de ce moment, il fallait se concerter, discuter, échanger et produire quelque chose, car véritablement la République était à terre, comme l’a souligné Khalifa dans une interview avec Pape Allé Niang. Tout le reste s’est fait dans la discrétion, en tirant les leçons du passé. Les 4 partis sont représentatifs de l’électorat sénégalais. Il fallait verrouiller quelques aspects (l’information stratégique, la présidence et la stratégie d’intervention jusqu’au moment opportun, pour éviter que Macky Sall ait quelqu’un sur la table des quatre partis. Forcément on savait qu’il y aurait des frustrés, mais c’est comme ça et les ténors l’assument.
Qu’en est-il de la coalition articulée autour du Parti démocratique sénégalais qui connait déjà des défections avec le retrait de Thierno Alassane Sall ?
Le Pds est comme un gaillard qui aime se tromper lui-même. On a connu l’épisode d’Oumar Sarr qui jurait sur le retour de Karim Wade. Au final rien du tout. Tout le monde sait que Karim Wade ne rentrera pas au Sénégal de sitôt. Les communiqués de Wade, de Karim, tout ça c’est du faux. C’est pensé et écrit ici. Au PDS, on nous vend une denrée absente, qui profite de l’aura de son père pour exister politiquement. Si ça peut leur faire plaisir, grand bien leur en fasse. Mais les Sénégalais ne sont pas dupes, en plus au PDS on oublie que les enfants ont grandi. Le deal, lors des dernières élections n’est pas passé et est resté en travers de la gorge des Sénégalais. La logique voudrait que le PDS ne puisse pas être à la remorque d’un Ousmane Sonko. Le PDS oublie qu’il n’a pas participé aux élections de 2019. Depuis le départ de Wade du pouvoir, personne ne sait ce que ce parti représente. Les membres de ce parti sont toujours dans le show politique, le populisme qui ne signifient plus rien pour les Sénégalais. Il faut que ce parti comprenne qu’il n’est plus au pouvoir, que les réalités ont changé. Il risque d’avoir de très grosses déceptions car les réalités politiques au Sénégal c’est bien Pastef, Taxawu Dakar et le PUR. Ce dispositif devrait être renforcé par des identités remarquables jusqu’à ce qu’elles aillent aux élections comme par exemple Thierno Alassane Sall, Abdoul Mbaye, Bougane Guéye Dany tandis que les mouvements citoyens et activistes devraient venir fermer la marche. C’est ça l’option pour l’opposition sénégalaise, de grands ensembles, de grandes coalitions pour venir à bout de ce régime. Avec le retrait de Thierno Alassane Sall, le PDS risque de se retrouver tout seul. Je pense que les Abdoul Mbaye, Mamadou Lamine Diallo, Pape Sarr de la Ld/Debout, entre autres leaders du CRD et de Jotna n’ont pas leur place dans cette coalition, leur place c’est à côté du maire Khalifa Sall qui est la personne morale de Yewwi askan Wi. Sinon ce serait une alliance contre nature, vouée à l’échec.
Globalement, quelles sont selon vous, les chances de chacune des coalitions de l’opposition ?
Il faut encore patienter un peu car après prise de conscience, des positions et des opinions peuvent changer. Mais pour dire vrai, la coalition Yewwi askan wi est en pole position, avec l’électorat synchronisé de Pastef et de Taxawu Dakar, les deuxièmes et troisièmes puisque les voix de Kalifa étaient allées à Idrissa Seck qui est sorti deuxième. Sonko arrive troisième et le Pur ferme la marche. Donc logiquement, c’est la coalition la plus probable en termes de poids électorale, d’autant plus que le Pastef bénéficie du soutien du M2D et de nombreux autres partis comme le Grand Parti de Malick Gakou, des sympathisants, certains activistes et mouvements citoyens. Au total, plus de 23 partis et associations ont signé la charte. Ensuite vient la coalition que pourra former le PDS avec des partis d’avenir si ces derniers ne rejoignent pas la première coalition (Abdoul Mbaye, Mamadou Lamine Diallo, Pape Sarr de la Ld/Debout, Thierno Bocoum, Bougane Guéye, entre autres leaders du CRD et de Jotna. A condition qu’ils soient remorqués par le PDS, cette coalition peut représenter quelque chose. Enfin, il ne faut pas exclure une troisième coalition représentée par le PDS en dehors des Abdoul Mbaye, Mamadou Lamine Diallo, Pape Sarr de la Ld / Debout, Thierno Bocoum, Bougane Gueye, entre autres leaders du CRD et de Jotna, mais avec l’appui significatif de Pape Diop Book Gis Gis. A mon avis, trois coalitions de partis homogène, qui mutualisent leurs ressources et leurs savoir-faire peuvent inquiéter le pouvoir.
Des députés sont cités dans une affaire de trafic de passeports diplomatiques, Kilifeu et Simon sont en prison pour trafic de visa, des enseignants refusent de se faire vacciner. Que pensez-vous de tous ces faits qui agitent le pays?
D’abord pour le trafic de passeport diplomatique, cela traduit un état en déliquescence, où les repères semblent brouillés à tous les niveaux. En 1999 déjà, dans un texte célèbre, le Professeur Massaër Diagne parlait du brouillage des repères, ce à quoi le Professeur Kader Boye a rétorqué en se demandant si dans le contexte sénégalais, nous avions un brouillage des repères ou simplement des repères brouillés. La recherche effrénée de gain facile, l’absence totale de la perception de la valeur du travail chez les jeunes et vieux d’aujourd’hui conduisent à tous les excès. Être député ne signifie plus rien, être ministre, juste pour s’enrichir et enrichir sa famille en méprisant les fonctionnaires qui travaillent pourtant pour que vous ayez de bons résultats. C’est ça le Sénégal. Plus rien n’a de la valeur, plus de symbole, plus de respect, plus de vie privée. Un pays où le trafic en tout genre a élu domicile, avec dans la haute administration, des fonctionnaires qui ne sont plus d’égale dignité. L’affaire des députés trafiquant montre à quel point le Sénégal des apparences a pris le dessus sur le Sénégal réel. Ces députés n’ont pas leur place dans l’hémicycle, ils n’ont pas trahi le peuple ils ont juste trahi le Président Macky Sall car en ce qui concerne le peuple sénégalais, notre religion est faite. Qu’il s’agisse de Kilifeu ou de Simon, c’est la même chose, ce sont des Sénégalais comme vous et nous qui montrons des visages qui ne sont pas les nôtres, en bernant les Sénégalais du matin au soir. Mais c’est le Sénégal, tout le monde est coupable, coupable de se taire et de laisser faire, coupable de dire que ça ne me regarde pas, coupable de penser que ça n’arrive qu’aux autres. Ensuite pour la vaccination du personnel enseignant et estudiantin, je pense que c’est une bonne démarche. Il ne s’agit pas de faire l’intellectuel en se positionnant dans une attitude négative par rapport aux vaccins. Ces vaccins-là ont sauvé beaucoup de vie. C’est une démarche cohérente car nous estimons que tous ceux qui font face à un public ou travail en public doivent se faire vacciner. En tout cas, de ce qu’il m’a été donné de constater en termes de souffrances et morts, je conseille à tous d’aller se faire vacciner. Ce n’est pas obligatoire certes, mais c’est une nécessité dans le contexte africain où la prise en charge correcte pose souvent problème.
L’info