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SECTEUR DU GAZ: L’Unagaz et les majors « déchirent » le rapport sur la structure des prix

Commandité par le Conseil national des hydrocarbures, suite à la demande de revalorisation des marges par les acteurs eux-mêmes, le rapport sur la structure des prix risque de brûler le secteur du gaz butane. L’Union nationale des grossistes du gaz (Unagaz) qui dénonce son exclusion du processus et la non prise en compte de ses préoccupations, menace d’aller en grève. 

Après l’affaire des bouteilles «neutres » de 12 et 38 kilos non encore définitivement réglée, le secteur du gaz risque de connaître une nouvelle tension. Maillon important de la chaine, les grossistes-distributeurs menacent tout bonnement de fermer leurs dépôts si le Comité national des hydrocarbures (Cnh) et la tutelle continuent d’ignorer leurs préoccupations. ‘’Nous avons adressé une demande d’audience au ministre à la veille de la Korité. S’il ne répond pas favorablement à notre demande, nous allons dérouler un plan d’actions. Nous irons en grève renouvelable de 48h. On ne va pas aller chercher le gaz (dans les usines) et on ne va pas le distribuer’’, a martelé Babacar Sèye, distributeur et chargé de la communication de l’Unagaz. Qui ajoute, à propos des dangers et risques qui pourraient naitre d’une telle grève. ‘’Ça va perturber aussi bien la distribution que la production, car les marketeurs (usines) ne pourront pas écouler leur production. Il y a aussi le fait que si les populations sont au courant de la grève, elles vont vouloir acheter des bouteilles de réserve. Non seulement il y aura de la spéculation, mais les maisons seront remplies de bouteilles et on aura de véritables bombes dans les foyers’’. Poursuivant, M Sèye souligne qu’il y a près de 250 dépôts, dont chacun emploie en moyenne 20 personnes, soit près de 5000 emplois directs, sans compter, note-t-il, les emplois indirects (vendeurs de repas et autres). ‘’Il faut qu’on nous respecte et qu’on nous considère. Nous avons investi et créé des emplois. Nous pouvions investir notre argent ailleurs, par exemple construire des maisons et encaisser chaque mois un loyer. C’est plus simple et plus bénéfique. Mais, en patriotes, nous avons investi pour créer des emplois et de la valeur ajoutée, et participer ainsi au développement du pays’’, dit-il.

Exclus du processus d’élaboration du rapport sur la structure des prix qui n’a pas pris en compte leurs préoccupations

Si aujourd’hui l’Unagaz est en ordre de bataille, c’est parce que d’abord, ils réclament en vain, depuis des années, une revalorisation de leur marge, de 155 F Cf, qui passe par une révision de la structure des prix. ‘’Nous demandons la revalorisation de la marge depuis 2014. On nous avait demandé de faire un mémorandum en ce sens. Mais depuis lors, les choses trainent’’, note Sèye. Qui souligne que la révision des marges était prévue en 2021. Et pour cela, un cabinet (Mazars) a été commis pour faire une étude de la structure des prix. Le cabinet a remis son rapport au Conseil national des hydrocarbures, qui doit le remettre à son tour au ministère de tutelle. ‘’Le Cabinet a reconnu que les dépôts ont une faible marge et ont des problèmes’’, soutient le chargé de la communication de l’Unagaz. Il déplore leur mise à l’écart dans le processus. ‘’On nous a dissocié du processus d’élaboration du rapport. Et au lieu de nous donner le pré-rapport pour qu’on fasse des observations, ils ne l’ont pas fait. Or ils l’ont donné aux majors (usines). Inquiets, nous avons saisi le CNH et demandé une audience. C’est à la veille de l’audience qu’ils nous ont donné, pas le pré-rapport, mais le rapport final. Donc ils nous ont mis devant le fait accompli. Et curieusement, les majors qui avaient le pré-rapport n’avaient pas reçu le rapport final. Vous voyez ces jeux ?’’, fait remarquer Sèye. Qui fulmine : ‘’Lors de la rencontre, ils nous ont demandé d’attendre l’atelier de restitution. Qu’est-ce qu’on va faire à l’atelier de restitution, si nous n’avons pas été associé au processus ? Nous avons rendu compte à la base et elle nous a demandé de taper sur la table tout de suite pour qu’on nous entende’’. 

Des investissements consentis pour remplacer les charrettes par des voitures

Réclamant une revalorisation de leur marge de 155 F CFA, les membres de l’Unagaz trouvent cela d’autant plus légitime et urgente, qu’ils ont réalisé d’importants investissements en moyens de transport.  ‘’Il n’y a presque plus de charretiers en ville. Avec l’avènement des autoponts, nous avons investi pour coller à cette nouvelle image de la capitale. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre des charrettes. Nous avons acheté des voitures à 15 et 17 millions l’unité. Allez à Caetan demandez combien de voitures ont été achetées là-bas. Ce sont des voitures achetées à crédit que nous payons pour longtemps’’, déclame-t-il. 

Les majors «déchirent» aussi le rapport final

La colère des grossistes n’est que l’arbre qui cache la forêt. Les producteurs ont aussi le même problème. Ils réclament la révision des marges, au vu des efforts colossales d’investissement. ‘’Le même problème va se poser bientôt avec les majors’’, affirme une source du secteur. ‘’Quand le débat sur la revalorisation des marges s’est posé, le Cnh a demandé qu’on prenne un cabinet indépendant, avec des experts qui vont évaluer la situation. Quand le cabinet a fini de faire son rapport, on a fait des observations, mais ils ont tout laissé de coté et fait ce que bon leur semble, peut-être pressés de rendre un rapport. On leur a dit que ce que vous avez mis dans le rapport final n’est pas bon. L’Unagaz a crié et on leur a donné le rapport final qui est déjà parti au ministère’’, nous souffle notre source. Non sans préciser que ce sont les majors même qui ont payé les frais de l’étude, à hauteur de plus de 50 millions. Poursuivant, elle note : ‘’ils ont bâclé l’évaluation, disant qu’il n’a rien en termes d’investissements qui explique une revalorisation des marges. De manière imagée, c’est comme quelqu’un qui va dans un journal et qui revient pour dire qu’il n’y a pas trouvé de machines pour écrire. Mais que le journal est écrit avec des stylos. Personne ne peut croire à ça’’, persifle-t-elle. 

Touba Gaz et Lobbou Mame Diarra Bousso ont investi des milliards pour presque tripler le stock national de gaz et moderniser la distribution

En effet, note notre interlocuteur, des investissements colossaux ont été faits par les majors, notamment les deux leaders du secteur, qui sont tous des entreprises entièrement sénégalaises. ‘’C’est des milliards que Touba Gaz et Lobbou Mame Diarra Bousso, qui sont des sociétés nationales, ont investi pour augmenter la capacité de stockage du pays. A elles seules, elles stockent 12 000 à 13 000 tonnes sur les quelques 20 000 tonnes du stock national de gaz (les multinationales dont Total se partageant les 7000 tonnes restantes). Ils ont fait passer le stock national de 7000-8000 tonnes, à plus de 20 000 tonnes, soit une augmentation de 60%. On ne peut pas dire que ces gens n’ont pas assez investi au point de réclamer une augmentation des marges. Et pourtant, c’est ce qui ressort du rapport final’’, rouspète-t-elle. Mieux elle souligne que ce sont les majors qui ont acheté (à crédit) des voitures, pour les donner ensuite à crédit, aux grossistes. Relevant que leurs investissements sont manifestes, notre interlocuteur indique que c’est ce qui fait qu’aujourd’hui, le Sénégal n’a plus aucun problème d’importation, de stockage et de distribution de gaz butane. Ce qui était loin d’être le cas il y a quelques années, où le spectre des pénuries et des ruptures de stock étaient monnaie courante. 

M T