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HAMIDOU DIOP, SG DU CNP : ‘’Le privé national devrait être plus présent dans les secteurs stratégiques’’

L’entreprise sénégalaise a subi l’impact de la pandémie du Covid 19 qui sévit depuis plus d’un an. Mais elle a fait preuve de résilience, avec le soutien de l’Etat qui a mis en place des mesures d’accompagnement. C’est l’avis de Hamidou Diop, Secrétaire général du Conseil national du patronat (Cnp). Qui, dans cet entretien, évoque avec nous, la situation de l’entreprise sénégalaise dans ce contexte particulier, les conditions qu’il faut pour que l’entreprise s’en sorte et se développe, la nécessité de favoriser le produire et le consommer sénégalais, l’attitude l’Etat vis-à-vis du secteur privé, la création d’emplois, le climat social…

Le monde, le Sénégal y compris, est fortement affecté par la crise sanitaire qui sévit depuis plus d’un an. Aujourd’hui, comment l’entreprise sénégalaise vit cette situation ? 

Ce qu’il faut préciser d’emblée, c’est qu’on ne peut pas isoler l’entreprise sénégalaise de l’entreprise au niveau mondial, ni isoler l’économie sénégalaise de l’économie mondiale. Au niveau mondial, on note d’abord que la pandémie a eu des impacts à la fois sanitaires, sociaux, économiques et financiers, sur tous les secteurs d’activités et sur les budgets des Etats. Par exemple au niveau des emplois, en 2020, on a connu plus de 250 millions de pertes d’emplois. Et au Sénégal, les entreprises ont subi ce choc-là, qui a été brutal. Ce qui a entrainé nécessairement, des fermetures d’entreprises, des baisses d’activité, et donc des pertes d’emplois. 

Mais ce qu’on peut retenir, c’est que notre pays a fait preuve d’une grande résilience, notamment son secteur industriel, son économie de manière générale. Les entreprises ont fait preuve d’une grande capacité de résilience, parce que si vous regardez un peu les données, vous verrez que malgré la gravité de la situation, il y a seulement 428 entreprises qui ont eu à procéder à la mise en chômage technique de leur personnelC’est important. Si vous prenez un secteur comme le tourisme, qui a été fortement impacté, plus de 1100 professionnels ont été touchés, mais Il y a un pourcentage de moins de 30% qui ont eu à mettre leur personnel en chômage technique durant cette période. Donc cette résilience, elle est là. Si on regarde sur toute l’année 2020, on a 17 000 à 18 000 travailleurs qui ont été mis en chômage technique, ou ont fait l’objet d’un licenciement. Donc, on considère que l’entreprise a évolué dans un élan de solidarité en préservant autant que possible les emplois et l’activité. Mieux, l’entreprise a contribué à la force Covid 19, à hauteur de dizaines de milliards.

L’Etat a eu à prendre un certain nombre de mesures pour soutenir le secteur. Est-ce que ces mesures ont été ressenties ? 

Il y a eu plusieurs mesures que l’Etat a eu à prendre et qu’il faut saluer. Il y a eu par exemple, pour les entreprises, cette possibilité de faire un emprunt bancaire de l’ordre de 200 milliards sur une période qui couvrait 3 mois de salaires. Les entreprises ont pu accéder à ces ressources-là. Mais globalement ce qu’il faut savoir, c’est que l’entreprise a préféré le rééchelonnement de sa dette bancaire, plutôt que d’aller s’endetter pour la payer. Donc il y a eu un rééchelonnement bancaire de toutes les dettes que les entreprises ont eues. Ce qui a permis à l’entreprise de retrouver un certain souffle de trésorerie et de gérer cette période particulièrement difficile. 

La crise est encore là. Aujourd’hui, de quoi a besoin le secteur privé pour s’en sortir et se relancer ?

Déjà pour sortir de la crise, il faudrait que la crise elle-même parte. L’entreprise qu’elle soit sénégalaise ou non, ce dont elle a besoin, c’est d’avoir une politique économique saine, visible et rassurante. Aujourd’hui, c’est le cas au Sénégal. Le président a lancé la PAP2A, qui est le cadre de la politique économique sénégalaise. Nous avons contribué également à l’élaboration de ce PAP2A. Nous avons participé à toutes les réunions. Il n’y a pas de problème particulier, sauf qu’il y a peut-être des réformes à faire sur l’environnement des affaires. A côté de ça, il y a le marché. Si vous n’avez pas de marché, vous avez du mal à relancer votre activité économique. Surtout qu’au niveau mondial, il y a une contraction des marchés. 

Au niveau local, ce que nous avons dit, c’est qu’il faut promouvoir à la fois, le savoir-faire sénégalais, le produire sénégalais, mais également le consommer sénégalais. Cette promotion est indispensable. Il faut que les sénégalais apprennent à donner une valeur socio-culturelle à nos produits et services.  Ce qu’il faut savoir, c’est que chaque produit importé, génère des milliers d’emplois à l’étranger. Et cela se fait au détriment des entreprises locales, de Sénégalais ou d’étranger établis au Sénégal ; et au détriment de toute consolidation ou création d’emplois dans notre pays. C’est ça la règle du marché. Chacun veille à protéger ses entreprises, ses emplois en donnant de la valeur à ce qu’il produit. Il faut que nous ayons cette vision-là. Notre souveraineté alimentaire, par exemple, est indispensable. Il y a des secteurs à forte valeur ajoutée. C’est l’industrie, l’agriculture, le tourisme…Il faut mettre l’accent sur ces secteurs-là. Il faut que les paramètres soient totalement maitrisés.

On reproche souvent à l’Etat de ne pas trop soutenir le privé national et de privilégier les entreprises étrangères. Partagez-vous cet avis ?

Dans une économie, il faut faire un mixe. Le Sénégal ne peut pas se développer sans l’investissement étranger. Ça, il faut qu’on le comprenne. Mais aussi, le Sénégal ne peut pas se développer durablement, sans qu’il y ait une capacité nationale. Le secteur privé national devrait être plus présent dans les secteurs stratégiques, porteurs de notre économie. C’est ce mixe qu’il faut cultiver.  Et au niveau du Cnp, on constate que notre message est très bien perçu. Aujourd’hui, le président de la République a pris plusieurs décrets pour favoriser le contenu local, dans le secteur du gaz et du pétrole. Dans le PAP2A, ce contenu local est pris en compte. Dans la loi sur le partenariat public-privé qui est voté, on a aussi pris en compte ce contenu local. Il y a une dynamique nouvelle qui vise à favoriser, ou du moins, à accompagner davantage le secteur privé national, pour qu’il soit plus présent dans l’économie nationale. Pour l’investissement étranger qui est nécessaire, il faut voir comment le rendre incitatif et favoriser le transfert de technologies et de compétences. Ce sont des alliances stratégiques qu’il faut développer, avec un état stratège. 

Il est beaucoup question de création d’emplois. Qelle contribution peut apporter le secteur privé dans cette nouvelle dynamique ?

C’est le secteur privé qui crée véritablement des emplois. L’Etat crée des emplois, mais ce sont des emplois qui se répercutent, après, sur son budget.  Et en retour, ce sont les contributeurs fiscaux que sont les entreprises et les personnes physiques, qui vont avoir une charge plus lourde. Pour une bonne contribution des entreprises à la création d’emplois, il faut réunir quatre conditions. La première, c’est la politique économique. Il faut une politique économique rassurante. La deuxième, c’est le marché. Et notre proposition a été claire. C’est sur le Code des marchés publics qu’il faut agir très rapidement, pour voir comment notre système de passation de marchés publics peut aujourd’hui, permettre la création d’emplois. C’est possible. Par exemple, lorsque vous faite un appel d’offre, la dimension création d’emplois vous la mettez dans l’appel d’offre. La troisième condition, c’est que l’entreprise fait face à des obligations sociales et a des obligations fiscales. Et pour répondre à ces obligations, il est important qu’il y ait un cadre social et fiscal incitatif. Sinon, on ne va pas investir. Si ce cadre est plus favorable en Guinée, l’investisseur va aller là-bas. Il faut aussi un cadre juridique qui soit sécurisant pour l’investissement privé. Et enfin, il y a la jeunesse. L’entreprise a besoin de ressources jeunes, compétentes, innovantes et parfaitement qualifiées. Si la jeunesse n’est pas assez bien formée, cela pose problème, parce que l’entreprise ne pourra pas mettre sur le marché des produits compétitifs. 

Est-ce que ces conditions sont aujourd’hui réunies ?

Globalement, on est sur la bonne voie. Un problème quand il est posé il est déjà résolu à 50M%. Il y a de nouveaux comportements qui apparaissent. Il y a plus d’engagement des jeunes, de l’Etat, des partenaires sociaux, syndicat et patronat. Il y a une mobilisation nationale autour de cette problématique. 

Les rapports employeurs-employés ne sont pas toujours faciles. Comment au niveau du Cnp, vous appréciez le climat social actuel ?

On a la paix sociale, il faut s’en réjouir. On est un des rares pays au monde à avoir un climat social employeurs-employés aussi apaisé. C’est vraiment totalement apaisé. Il y a très peu de grèves, notamment de grèves générales, en 10 ans. On a une concertation de qualité. Ces deux dernières années, l’entreprise a consenti d’énormes efforts pour revaloriser les salaires. Même la Convention collective interprofessionnelle a été révisée. Donc, il y a un dialogue social de qualité qui est là. Et quand vous prenez les cahiers de doléances des travailleurs, vous allez voir que 90% des points soulevés touchent l’administration. C’est l’administration publique qui est interpellée, à travers des protocoles signés et qui tardent à être appliqués, à travers le Fnr…Mais du côté du secteur privé, vous n’avez rien. D’ailleurs même, ce sont les travailleurs qui demandent à l’Etat de soutenir les entreprises, car c’est ça qui va préserver les emplois. Quand une entreprise est en difficulté, qui le ressent plus que le travailleur ? C’est lui qui le ressent plus que tout le monde. 

L’info