A la Une

MEVENTE ET POURRISSEMENT DES RECOLTES DANS LES NIAYES : Négligence coupable de l’Etat

Frappés de plein fouet par la crise économique née de la pandémie du Covid 19, les maraichers de la zone des Niayes n’ont que leurs yeux pour pleurer devant la mévente de leurs produits horticoles qui pourrissent entre leurs mains, faute de dispositifs de stockage et de conservation.

La zone des Niayes vit les moments les plus sombres de son histoire. Jamais dans ses annales, pareille situation n’a été vécue. En dépit de l’oubli dont ils ont toujours fait objet de la part des décideurs politiques, les maraichers de Diobass, Darou Fall, Seguel, Fass Boye, Diogo, Mboro et Noto sont souvent parvenus à tirer leur épingle du jeu. Mais depuis l’éclatement de la crise économique provoquée par la pandémie du Covid19, la terre entière s’est dérobée sous leur pied. Confrontés à une mévente de leurs produits horticoles qui pourrissent fréquemment entre leurs mains, ils broient du noir et ruminent leur colère. Ils ne savent plus à quel saint se vouer. ‘’Vous avez constaté par vous-même. Toutes nos récoltes sont en train de pourrir parce que nous n’avons aucun endroit pour les conserver. Il n’y a également personne pour nous l’acheter et les prix sont au plus bas’’, fulmine Issa Ndoye, 23 ans. D’un air dépité, il pointe un amas d’aubergines qui jonche le sol et qui commence à pourrir. Nous sommes à Fass Boye. Situé à une vingtaine de kilomètres de la commune de Darou Khoudoss, ce village ne vit qu’au rythme de l’horticulture. Ses périmètres maraichers s’étendent à perte de vue sur des dizaines et des dizaines d’hectares. Sur les lieux, on n’y cultive toutes sortes de légumes. Aubergine, Carotte, navet, choux, poivron, oignon, oignon vert, entre autres variété. Si les récoltes sont abondantes et bonnes, elles sont aujourd’hui à des prix les plus bas. ‘’Devant l’absence d’assistance des autorité étatiques, nous sommes obligés de bazarder nos récoltes. Tenez-vous bien que nous vendons le sac de carotte à 3000, le sac de choux à 2500, le kilogramme de poivron est cédé entre 75 et 125 f et la cassette de tomate à 1500f pendant tout ce temps. Et il faut faire beaucoup de marketing auprès de la clientèle pour parvenir à vendre ne serait ce qu’un sac. C’est plus que difficile. C’est aussi aberrant dans un Etat comme le Sénégal’’, rumine le jeune ouvrier agricole. 

Il déplore qu’au moment où leurs récoltes pourrissent entre leurs mains, dans certaines localités du pays comme dans le Nord et dans le sud-est, il manque de légumes. Ce qui sous-entend selon lui, un laxisme de l’Etat qui devait veiller à la bonne distribution des produits horticoles sur toute l’étendue du territoire national à travers un système efficace d’assistance des maraichers. Mais hélas, tonne-t-il, ‘’nous sommes les oubliés de l’Etat du Sénégal. Les autorités du pays n’ont rien fait pour le secteur de l’horticulture. Elles ne s’occupent que de l’arachide pendant l’hivernage’’, déplore-t-il.   

La centaine de jeunes ouvriers agricoles trouvés à pied d’œuvre sur ces périmètres sont le plus souvent des saisonniers et viennent pour l’essentiel de l’intérieur du pays. ‘’Nous ne sommes pas de la localité. La plupart d’entre nous viennent un peu partout des quatre coins du pays. Moi personnellement, je suis originaire du Saloum. Je suis venu ici il y a dix ans, pour chercher du travail’’, confie Abdoul Rakhmane Ndao, un autre ouvrier agricole trouvé sur place. 

Secteur pourvoyeur d’emplois

L’horticulture dans cette zone, c’est comme la pêche à Kayar. C’est un secteur pourvoyeur d’emploi. Au moment où l’Etat du Sénégal incite les jeunes à s’investir dans l’agriculture pour résorber le taux de chômage qui est à son niveau le plus élevé, ils ont pris les devants. Dans leurs champs respectifs, un minimum d’investissement a été fait. Pour disposer de l’eau en abondance, ils ont tous foré des puits et acheté des pommes et autres matériels solaires. ‘’J’ai installé une machine qui m’a couté 600.000 FCFA. Cela compte non tenu des autres investissements liés à la production car nous achetons également des intrants tels que les semences, la fumure organique, du gasoil au quotidien et des produits phytosanitaires. Il m’arrive de dépenser plus de 150.000 le mois. Mais ces temps-ci j’arrive à peine à avoir de quoi nourrir ma famille. C’est désolant’’, crache-t-il. Avant d’ajouter : ‘’cette situation de détresse que nous vivons a découragé beaucoup de jeunes. J’en connais pas mal qui ont tourné casaque et qui sont allés faire autre chose, or nous avons un secteur en plein essor. Il suffit juste d’une toute petite assistance de l’Etat pour nous permettre de se développer’’. Il reste ainsi persuadé que la résorption du taux de chômage des jeunes passera impérativement par l’agriculture si jamais l’Etat du Sénégal décidait d’y mettre les moyens. ‘’Nous n’avons même pas besoin de financement car nous nous débrouillons avec nos maigres moyens. Ce que nous demandons à l’Etat par contre, c’est un accompagnement technique. Nous avons besoin de chambres froides pour stocker nos produits. Nous produisons des tonnes et des tonnes de produits de tout genre qui, bien conservés, peuvent nous permettre d’avoir toutes les variétés de légumes pendant toute l’année. Nous n’aurions même plus besoin d’importer quoique ce soit du Maroc ou de l’occident. L’autosuffisance en légume est à portée de main si jamais nous avions des autorités conscientes des enjeux. Mais hélas, elles ne viennent à nous que lorsqu’elles ont besoin de nous’’.

La même situation constatée à Fass Boye, prévaut également à Diogo. Au marché de la localité, des sacs de légumes qui jonchent les bords de la route, attendent en vain des acheteurs. Pour vendre leurs récoltes, certains d’entre les maraichers préfèrent les convoyer à Noto, une localité distante d’une cinquantaine de kilomètres. Sauf que là encore, il faut débourser plus pour assurer le transport et rien ne garantit que les produits soient écoulés. ‘’La semaine dernière j’ai vu mes récoltes pourrir ici à Noto sans que je ne puisse rien faire’’, confie Ndiaga Salla, 27 ans, marié et père de quatre enfants.  

Le diktat des ‘’coxeurs’’ (intermédiaires) 

Zone maraichère, Noto est également un carrefour commercial. Tous les maraichers des villages environnants de Sao, Diop Sao, Keur Mbir, Keur Ndiaw, Ndiar, entre autres, viennent y écouler leurs produits. Seulement, le marché est tellement saturé ces temps-ci, que les invendus pourrissent sur place. ‘’Nous travaillons à perte. On investit notre argent pour cultiver des légumes et les transporter à Noto. Mais s’ils ne sont pas vendus le même jour, on n’a pas d’autre choix que de les laisser pourrir sur place parce que nous n’avons aucun endroit pour les conserver. Il n’existe aucune chambre froide dans la zone. Nos autorités préfèrent laisser nos récoltes pourrir pour aller importer les mêmes produits au Maroc ou en France. C’est aberrant’’, décrie-t-il. Non sans indexer également les intermédiaires communément appelés ‘’coxeurs’’. C’est eux qui fixent les prix du marché à leur guise. Quand l’offre est supérieure à la demande, ils cassent automatiquement les prix pour bazarder les produits et toucher leur commission. Sur toute la ligne, je pense que la faute incombe à l’Etat qui est complètement absent sur toute la chaine’’.

Au moment où l’Etat du Sénégal incite la jeunesse sénégalaise à s’investir dans l’agriculture avec des financements à la clé, ceux qui s’activent déjà dans le domaine sont laissés à eux-mêmes et n’ont aucune assistance étatique. Un paradoxe qui cache mal un manque de volonté politique de développer la filière pourtant très pourvoyeuse d’emplois.

Assane MBAYE