Au Sénégal, la transhumance, c’est tout un art
Équivalent politique du jeu d’échecs ou de l’awélé, la transhumance a atteint des sommets au Sénégal depuis 2012.
Si Macky Sall n’a pas inventé la transhumance politique, il aura néanmoins contribué à hisser ce travers de la politique sénégalaise à des sommets rarement atteints. Le 11 décembre, à l’occasion de la remise du prix Macky Sall pour le dialogue en Afrique 2020, le chef de l’État affirmait une nouvelle fois ses envies hégémoniques.
« Je remercie Idrissa Seck et tous ceux qui, comme lui, ont eu le courage de dialoguer, déclarait-il alors. Il faut du courage pour dialoguer. Quel est le président qui ne voudrait pas prendre le candidat arrivé deuxième après lui ? […] Plus de 85 % de l’électorat se retrouve aujourd’hui dans le camp de la majorité. »
Si Idrissa Seck, tour à tour allié et adversaire, puis à nouveau allié depuis le début de novembre, est la dernière « prise » en date de Macky Sall, bien d’autres leaders politiques l’avaient précédé dans les prairies « marron-beige » de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, principale force d’opposition depuis 2012, a ainsi vécu une interminable hémorragie qui l’a laissé exsangue.
Au Sénégal, pourtant, la transhumance a mauvaise presse. Qu’on se souvienne, par exemple, des propos sans nuances tenus en 2015 par Souleymane Ndéné Ndiaye, qui fut le dernier Premier ministre d’Abdoulaye Wade : « Ils doivent être exécutés ! Les transhumants doivent être fusillés, ce sont des traîtres ! […] Tous ceux qui ont quitté le PDS pour rejoindre l’APR sont des traîtres. Moi, je préfère mourir que de faire ça ! »
Deux ans plus tard, le ton avait changé : « Après mûre réflexion, j’ai donc décidé de serrer la main tendue par Macky Sall. J’accepte avec mon parti, l’Union nationale pour le peuple, de participer à élargir la majorité présidentielle », faisait savoir Souleymane Ndéné Ndiaye. Aujourd’hui, l’intéressé est président du conseil d’administration de la compagnie Air Sénégal.
« Unité nationale », « intérêt supérieur de l’État », « main tendue »… Les arguments honorables ne manquent pas pour justifier les revirements politiques qui conduisent nombre d’opposants à rejoindre en file indienne le camp au pouvoir en attendant des jours meilleurs.
Babacar TALLA avec Jeune Afrique