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RAMZI SANDI, PDG SAIPH : « L’Afrique n’a pas d’autre choix que de fabriquer ses médicaments »

ENTRETIEN : Le Covid-19 fait prendre conscience aux dirigeants africains de la nécessité d’une industrie pharmaceutique forte. Avec une croissance de 11% en moyenne ces vingt dernières années, cette industrie est en plein développement en Tunisie. SAIPH, la Société arabe des industries pharmaceutiques, l’un des leaders du médicament générique, entend désormais axer son développement sur l’Afrique subsaharienne.

La pandémie de Covid-19 fait prendre conscience aux dirigeants africains de la nécessité de se doter d’une industrie pharmaceutique puissante. Pour l’heure, l’ensemble des pays sub-sahariens importent les neuf-dixièmes des médicaments qu’ils consomment. L’Afrique du Nord et l’Afrique du Sud couvrent leurs besoins à plus de soixante-dix pourcents.

Une première usine de Saiph, la Société arabe des industries pharmaceutiques, est en construction à Abidjan. Le savoir-faire de ces pays pourrait donc servir de relais pour le reste du continent. Entretien avec Ramzi Sandi, directeur général de la Saiph, fabricant tunisien de médicaments génériques.

RFI :  Est-ce que la pandémie de Covid-19 a entraîné, selon vous, une prise de conscience des dirigeants africains de la nécessité de se doter d’industries pharmaceutiques ?

Ramzi Sandi: Oui, comme partout dans le monde, on a vu pendant la période de Covid se développer le « chacun pour soi ». Le business-model économique global et les transferts de site à la recherche de plus de valeur-ajoutée, vers l’Asie notamment, devrait changer radicalement après cette pandémie. En ce qui nous concerne, à SAIPH, nous avons essayé d’anticiper en observant ce qui se passait en Chine pour assurer la couverture de nos besoins.

Nous avons créé une cellule de crise dès février pour anticiper un pan d’approvisionnement. La fermeture de l’Asie n’a pas impacté notre entreprise en termes d’approvisionnement. Nous avons pu réagir rapidement lorsque l’hydroxychloroquine a été intégrée dans les protocoles de traitement de la maladie en Tunisie, pour développer rapidement ce produit.

Vous êtes dépendant de l’Asie pour les principes actifs des médicaments ?

Comme vous le savez, pratiquement toute l’industrie chimique a été délocalisée vers l’Asie. Je pense, comme l’a dit votre président Emmanuel Macron, que le modèle doit être changé afin d’avoir un minimum d’industrie pharmaceutique relocalisée en Europe.

Est-ce que les autorités tunisiennes ont conscience de la nécessité de renforcer le secteur pharmaceutique local ?

Oui. Nous avons eu plusieurs réunions avec le ministère de la Santé, et aujourd’hui, la priorité est d’assurer une plus grande fabrication de médicaments localement, que ce soit par des contrats de licence ou par le développement de produits génériques.

Concrètement, quelles décisions ont été prises ?

L’État a mis en place des procédures de fast-track (dispositif accéléré d’enregistrement de médicaments) pour encourager la fabrication locale. Vous savez, en Tunisie on subventionne les produits importés, ce qui a un coût estimé à 260 millions de dinars (90 millions d’euros), donc nous n’avons pas le choix, le développement des médicaments fabriqué localement est considéré comme un secteur stratégique.

Je pense que les pays africains n’ont pas le choix. Ils vont devoir assurer une couverture locale minimum et ensuite créer des sites alternatifs ou des plateformes d’approvisionnement. Mais se baser uniquement sur l’importation des médicaments n’est pas une solution, car il risque d’y avoir d’autres pandémies.

À quel niveau de couverture se situe la Tunisie ?

En termes de volume, on est entre 70 et 75%. Et en termes de chiffre d’affaires, on est à 50%. Les produits importés sont surtout des produits d’oncologie qui sont à forte valeur ajoutée.

SAIPH se tourne désormais vers l’Afrique subsaharienne, un marché gigantesque et actuellement dominé par les Big Pharma mondiales. Est-ce que les entreprises africaines, et notamment la vôtre, ont une carte à jouer ?

L’exportation est devenue une partie intégrante de notre stratégie globale. Dans les cinq à dix années à venir les marchés extérieurs seront l’un des leviers de croissance importants pour notre entreprise. L’Afrique compte 1,2 milliard d’habitants et ce chiffre va doubler rapidement, le marché est énorme. Pour partir à la conquête de ce marché, nous avons d’abord créé une holding SAIPH-Tunisie pour être un acteur global de santé couvrant la majorité ces classes thérapeutiques. Et nous avons créé une plateforme en Afrique, la deuxième après notre plateforme d’usines en Tunisie, avec SAIPH Ivoire.

Pourquoi le choix de la Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire est considérée comme un vrai pays émergent. Par exemple, elle a mis en place l’assurance-maladie, chose qui va doubler ou tripler le marché pharmaceutique. Et à partir de notre plateforme, nous allons alimenter l’Afrique subsaharienne. La délocalisation est importante, car pour les produits spécifiques comme les antipaludéens ou les produits à fort volume et à faible valeur ajoutée, comme les antalgiques, le coût de transport est élevé.

Donc, l’idée est d’aller plus près des consommateurs, et de faire jouer la complémentarité entre nos usines tunisiennes et notre usine ivoirienne (cette dernière sera fonctionnelle en 2021). Nous avons déjà des produits enregistrés et obtenu une centaine d’AMM (autorisation de mise sur le marché) entre le Sénégal, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, etc. Pour l’Afrique anglophone, nous avons démarré avec un partenaire pendant la période de Covid-19 pour fournir de la chloroquine. Et nous avons un projet de plateforme de distribution et packaging au Rwanda.

Toutinfo.net(avec RFI)