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DISPARITION :Kirk Douglas, mort du dernier géant d’Hollywood

CINEMA: Acteur, réalisateur et producteur, c’est une légende du cinéma du XXe siècle qui disparaît ce mercredi 5 février à l’âge de 103 ans. Mais aussi une personnalité engagée au parcours en forme de rêve américain.

On avait fini par le croire immortel. Kirk Douglas avait survécu à un crash d’hélicoptère ; on l’avait cru terrassé par deux attaques cardiaques.

Mais toujours, le géant s’était relevé et était reparti au combat. Il avait même réappris à parler pour rejouer encore et encore, même si sa chevelure blonde avait depuis longtemps viré au blanc. Le 9 décembre 2018 encore, on avait vu les photos de la famille Douglas posant tout sourire pour les 102 ans du patriarche.

 Un âge mythique à la hauteur de la légende du dernier des monstres sacrés de l’âge d’or d’Hollywood. Une légende construite au fil d’une filmographie à rallonge sur laquelle il a promené sa célèbre fossette durant plus d’un demi-siècle.

Le parcours de l’acteur, réalisateur et producteur américain, a tout du rêve américain. Unique garçon d’une fratrie de six sœurs, né le 9 décembre 1916, il s’appelle encore Issur Danielovitch quand ses parents, juifs russes, fuient les pogroms pour l’Amérique et l’État de New York.

 L’argent est aussi rare que la famille est grande. La misère, la quête de l’amour paternel et l’antisémitisme ambiant de la fin des années 1920 marqueront les premières années de sa vie. De quoi forger son caractère combattif, entre bagarres et petits boulots pour survivre.

Le lutteur

La lutte, justement, c’est le sport dans lequel il excellera à l’université. Mais il y a autre chose qui anime déjà le jeune Issur. DansLe fils du chiffonnier, premier tome de son autobiographie parue en 1989, il raconte la naissance de sa vocation.

 Ce poème récité à l’école, les applaudissements qui le transcendent. Il rêve de comédie. Et de gloire. Après ses études, il se lance et entre à l’Académie américaine des arts dramatiques à New York. C’est là qu’il rencontre Diana Dill, sa future femme. C’est aussi là qu’Issur devient Kirk Douglas.

En 1941, le comédien est prêt à en découdre au théâtre. Il fait ses débuts à Broadway dans de petits rôles, mais il quitte rapidement les planches pour s’engager dans la marine.

Dans ses mémoires, il se décrit avec humour en marin pied nickelé, sujet au mal de mer et finalement réformé après une blessure occasionnée par un raté d’un matelot de son propre équipage…

Le cinéma le cueille à son retour. C’est son amieLauren Bacall, rencontrée à l’académie de théâtre, qui lui met le pied à l’étrier en lui décrochant un essai dans L’Emprise du crime. Dans le mille. Lui, l’homme de la côte est et du théâtre, se retrouve jeté dans l’arène de l’exubérant Hollywood. Le choc des cultures.

À nous deux, Hollywood

Les débuts ne sont pas faciles. Kirk Douglas n’est encore rien et on le lui fait bien sentir.

Dans son autobiographie, il raconte son éblouissement naïf devant la débauche de plaisirs qu’il découvre en assistant à sa première soirée après ce premier rôle.

« Que n’avais-je été invité à de telles réceptions quand je mourais de faim à New York ! » Le débutant contemple bouche bée toutes les vedettes vues à l’écran. Il rêve de parler avec Henry Fonda et Jimmy Stewart. Et finit par se faire souffler la starlette qui l’accompagnait. Kirk Douglas n’a pas vu le coup venir. Bienvenue dans le monde impitoyable d’Hollywood ! L’acteur est sonné, mais pas K.O. « Hollywood ressemble à un tramway bondé qui roule à toute allure, et sans cesse de jeunes acteurs et actrices de talent sautent à l’intérieur, repoussant les autres en arrière. (…) Garder son équilibre mental à Hollywood représente une tâche gigantesque », décrit-il.

Qu’importe son orgueil blessé, Kirk Douglas n’a pas oublié le petit Issur et pour lui, la vengeance est un plat qui se mange froid. Dans son autobiographie, il épingle avec jubilation ceux qui l’ont méprisé. Et les coups pleuvent. Hollywood bien sûr, son premier agent, et même ce prof de l’Académie de théâtre qui lui avait balancé à la figure qu’il n’était pas fait pour ce métier.

Pour ce qui est des femmes, l’Américain au physique d’athlète met la concurrence au tapis. Après son mariage avec Diana Dill, il enchaîne les conquêtes : Rita Hayworth, Norma Peal, Gene Tierney, Joan Crawford, Marlene Dietrich, etc. Il se remarie avec Anne Buydens en 1954.

Kirk Douglas n’a pas peur de faire des choix. Alors qu’on lui propose une superproduction, il préfère un rôle taillé à sa mesure dans le film d’un inconnu. Dans Champion, il incarne un boxeur dont les rêves de gloire vont le mener à sa perte. Le film sort en 1948 et lui vaut une première nomination aux Oscar.

Producteur engagé

A partir de ce moment-là, Kirk Douglas est une star. Il enchaîne les films et les rôles de dur à cuire. Au total près de 80. Il tourne avec les plus grands : La Femme aux chimères de Michael Curtiz, Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder, La Captive aux yeux clairs d’Howard Hawks, Les Ensorcelés de Vincent Minelli, le western Règlement de compte à O.K. Coral au côté de Burt Lancaster, Vingt mille lieues sous les mers et Les Vikings de Richard Fleischer, qu’il produit.

Car en 1954, il a créé sa société de production, la Bryna, du nom de sa mère. L’occasion pour lui, démocrate affirmé, d’aborder des sujets engagés. Il produit et incarne La Vie passionnée de Vincent Van Gogh, un rôle éprouvant qui manque d’avoir raison de sa santé mentale.

Dans Les Sentiers de la Gloire, film antimilitariste et un temps censuré en France, il est un colonel à la tête d’une mutinerie. Un homme qui se dresse contre l’absurdité d’un combat perdu d’avance, l’assaut suicidaire mené par un régiment français en 1916.

« I am Spartacus ! »

Dans les années 1960, Kirk Douglas est au faîte de sa gloire, mais il ne baisse pas les armes. Il tourne sans relâche avec une idée en tête : produire Spartacus. Le tournage, qu’il raconte dans I am Spartacus, est compliqué.

 Le réalisateur Anthony Mann est remplacé par Stanley Kubrick, tout juste 32 ans, qui doit composer avec des têtes d’affiche. Le film est un succès public couronné par quatre Oscar, mais il coûte très cher, 13 millions de dollars, soit l’un des plus gros budgets de l’époque, et ne sera jamais rentabilisé.

 Dans Le fils du chiffonnier, il écrit : « Spartacus occupa trois ans de ma vie, plus de temps que n’en passa le véritable Spartacus à guerroyer contre l’Empire romain. » Mais c’est avec ce rôle de gladiateur, incarnation de tous les combats menés pour la liberté, que Kirk Douglas entre définitivement dans la légende. Interrogé en 2006 par le site Allo Ciné, il évoquait le péplum : « C’est un film qui montre comment on doit trouver et conserver le contrôle de sa destinée. Si je regarde ma vie, je me sens comme un gladiateur qui a su vraiment choisir et mener ses combats pour s’affranchir et vivre à pleins poumons. »

Parmi ses combats, il y a aussi le maccarthysme. Pendant la chasse aux sorcières, il confie plusieurs scénarios, dont celui de Spartacus, à Donald Trumbo qui figure alors sur la terrible liste noire des personnalités (acteurs, réalisateurs, scénaristes, etc.) condamnées pour activités anti-américaines et interdites de travailler à Hollywood.

Avec les années 1970, l’âge d’or d’Hollywood s’en est définitivement allé et Kirk Douglas tourne moins. Il y aura bien encore L’Arrangement d’Elia Kazan (1969), Le Reptile de Joseph Manckiewicz (1970) et Furie (1978) de Brian de Palma.

Dernières batailles

Maintes fois nommé aux Oscar pour le trophée du meilleur acteur, Kirk Douglas aura finalement dû attendre un Oscar d’honneur en 1996 pour voir ses cinq décennies de carrière récompensées.

L’un de ses derniers faits d’armes, c’est en septembre 2016, pendant la campagne présidentielle américaine, qu’il l’avait signé. Alors que Clint Eastwood, un autre monstre sacré du cinéma américain faisait cavalier seul en prenant fait et cause pour Donald Trump, dans un texte publié par le Huffington Post, Kirk Douglas, quasi centenaire, donnait son sentiment sur la campagne américaine.

Reprenant une comparaison souvent tentée et réprouvée entre le candidat républicain et Adolf Hitler, il rappelait des heures sombres que lui a connues : « J’avais 16 ans quand cet homme a pris le pouvoir, en 1933. Pendant la décennie qui a précédé, on se moquait de lui – il n’était pas pris au sérieux. Il était considéré comme un bouffon qui ne pourrait jamais tromper une population civilisée et éduquée avec sa rhétorique haineuse et nationaliste. Les « experts » le considéraient comme une blague. Ils avaient tort. »

« Je pensais avoir tout vu jusqu’à maintenant. Mais de ma vie, je n’avais jamais vu une telle campagne de peur menée par l’un des principaux candidats à la présidence américaine », se désolait-il, mettant en garde sur les conséquences, si jamais ce « mal » prenait racine dans le pays.

Toutinfo.net (avec RFI)