SANTE MATERNELLE : Au Sénégal, le « damp », massage traditionnel des bébés, se professionnalise
PEDIATRIE : L’Afrique au défi de la santé infantile (5). Longtemps restée une affaire de famille, la pratique commence à investir les structures de soins.
Ses mains sont souples et glissent sur le corps luisant du bébé. Des gestes vifs et doux à la fois. Aminata Badji Sané est ce qu’on appelle une professionnelle qui, depuis vingt ans, pratique le « damp », ce massage traditionnel des nourrissons sénégalais.
L’enchaînement est toujours le même. La masseuse commence par toucher l’enfant, avec une paume ferme et des doigts enveloppants, puis le frictionne, le lisse, le tapote avec différents ingrédients. Le beurre de karité d’abord, réputé renforcer la peau et empêcher les microbes de pénétrer l’organisme. Puis l’huile de touloucouna, un arbre de Casamance, qui « lutte contre les mauvais sorts », selon Aminata. Ensuite, on commence à étirer le nourrisson, doucement, en le prenant par la tête, puis par les bras. On le place sur le ventre, on joint ses mains derrière son dos, tel un bandit qu’on neutralise, les pieds en arrière.
Dans le pays, nul n’échappe à ces gestes, gages d’un meilleur développement. Selon le docteur Meissa Fèye, chef du service de pédiatrie de l’hôpital principal de Dakar, « c’est une kinésithérapie de mobilisation neurophysiologique. Les nerfs et les muscles sont stimulés et les fonctions psychomotrices testées. En fait, on fait faire aux membres les gestes qu’ils devront faire pendant toute la vie de la personne », fait-il remarquer. « Ici, on dit que, si un enfant n’est pas “dampé”, il reste mou et peu endurant, explique Aminata. Et en jouant au foot, il se cassera quelque chose. »
Secoué et étiré
Au Sénégal, cette pratique est longtemps restée une affaire de famille. La tante masse ses neveux et nièces, la grand-mère ses petits-enfants. Sur sa dizaine de petits-enfants, seule Henriette, la petite dernière, née au Bénin, a échappé aux mains de Renée-Marcelle Angrand. « J’ai appris en regardant faire ma tante, se souvient la grand-mère. Maintenant, je le fais à tous mes petits-enfants. » Cette séance de toucher est un moment de communication privilégié avec le bébé même si, très tonique, cette pratique est souvent désagréable pour le nourrisson qui est secoué et étiré.
Mais Renée-Marcelle, qui se veut rassurante, estime qu’« il ne faut pas avoir pitié du bébé, parce que c’est bon pour lui ». Pour elle, faire sauter le bébé en l’air permet d’influer sur la psychologie de l’enfant qui sera ainsi « moins émotif, aura moins peur et sera plus dégourdi ». Et peu importe à ses yeux que nul ne l’ait jamais démontré, la pratique s’est faite une nouvelle place en ville.
Là, elle s’est professionnalisée. Si elle masse depuis plus de vingt ans, Aminata Badji Sané n’a commencé à travailler à la clinique Niang de Dakar qu’en 2012, du fait d’une réelle demande de la part des mamans dakaroises. Autant dans les villages, la famille n’est jamais très loin, autant en ville, comme sur la presqu’île de la capitale, il peut être long de rejoindre une grand-mère ou une tante. Surtout lorsque les mamans ont une activité professionnelle.
Remodeler le corps du nourrisson
Si certains le considèrent comme une forme de dissolution du lien social et de la tradition, d’autres voient ce changement d’un bon œil car, mal réalisée, cette pratique peut être dangereuse. Les séances de suspension, par un bras puis l’autre et par le cou, ne doivent en effet être menées que par des personnes expertes. Même si c’est rare, le docteur Meissa Fèye a déjà reçu des bébés souffrant de fractures ou d’élongations suite à un « damp » raté : « Les risques sont réels et cela peut être grave. Il ne faut pas que le geste soit trop violent. »
Ce massage serait aussi l’occasion de remodeler le corps du nourrisson, selon les desiderata de la mère. Pour les filles, « je fais des mouvements de haut en bas pour affiner au niveau des reins et faire descendre les formes vers les fesses, raconte Aminata, en accompagnant sa parole de gestes éloquents pour faire apparaître les rondeurs appréciées par la société sénégalaise. Pour les garçons, au contraire, elle appuie sur les fesses « pour qu’elles ne soient pas trop grosses à l’âge adulte » et le pubis est lissé vers le haut pour ne pas qu’il descende par la suite.
Chaque partie du corps est appréhendée pour sa fonction symbolique. Selon le sociologue Lamine Ndiaye, professeur titulaire de sociologie et d’anthropologie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le corps du nourrisson est « modelé suivant un modèle social déterminant, temporellement valorisé ».
Toutinfo.net (avec Le Monde)