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« Mandé et Peuls dans l’espace sénégambien : Réalité historique et fiction »

Par Dr_Amadou_SOW,Maître assistant associé, Université Assane SECK de Ziguinchor 
Introduction
L’Afrique, depuis les temps préhistoriques jusqu’à nos jours, connaît d’intenses migrations spontanées ou organisées de populations, qui déterminent souvent la nature des rapports intercommunautaires. Sur ce plan, l’espace sénégambien, abritant un ensemble de pays unis par des liens séculaires d’ordre culturels et géopolitiques très solides, est le lieu de convergence d’une pluralité d’ethnies ayant tissé au cours de leur parcours collectif, des relations complexes, allant du conflit à la complicité. En effet, les frontières actuelles qui délimitent les États  de la Sénégambie en y installant des barrières géographiques artificielles,  ignorent les particularismes socioculturels qui caractérisent cette zone. Toujours est-il qu’on retrouve les mêmes ethnies ou simplement les mêmes réalités socioculturelles partout sur ce territoire. Parmi celles-ci, les groupes Mandé et Peuls, fortement représentés dans cette zone et même au-delà, laissent apparaître une forme d’organisation et des types de relations caractérisées par des conflits divers mais également  par une complémentarité, voire une symbiose assez profonde, au point d’entraîner la naissance de communautés intermédiaires, à l’image des Khassonkés, issus du métissage des Malinkés et des Peuls. De ce fait, sur le plan socioculturel, on note un certain nombre de faits intéressants à étudier.Par ailleurs, ces relations à la fois tumultueuses, instables mais aussi paisibles et conviviales, sont largement représentées dans les manifestations culturelles et plus particulièrement dans les productions littéraires traditionnelles de ces peuples. Dès lors, cette communication constitue une opportunité pour revisiter les relations historiques et sociopolitiques, les enjeux politiques et religieux complexes qui  caractérisent la cohabitation mandé-peule en Sénégambie, au regard de l’historiographie et des œuvres d’imagination, particulièrement les genres oraux relatifs à ces deux peuples. Il convient dès à présent de signaler que ce travail se veut globalisant, autrement dit il prend en charge l’aspect ethnique d’une manière générale. Ainsi, le terme mandé désignera tout le groupe de peuples qui composent les ethnies malinké, bambara, socé, sarakhoulé, diakhanké, djallonké, soussou et même khasonké, etc. Le terme peul, quant à lui renvoyera aux Peuls, Foulha, Toucouleurs, c’est-à-dire aux peuples ayant en commun la langue poular. Cependant, à chaque fois que le besoin se fera sentir, nous utiliserons le terme particulier qui sied pour désigner tel ou tel groupe ethnique dans ces larges ensembles. Notre choix s’explique par le simple fait que ni les frontières précoloniales ni  celles des Etats actuels hérités de la balkanisation arbitraire de l’Afrique lors du partage colonial, ne reflète l’image de la véritable Sénégambie, précisément celle dont parle Boubacar Barry et qui couvrait six Etats-nations actuels que sont, en totalité, le Sénégal, la Gambie, la Guinée Bissau et en partie, la Mauritanie, le Mali et la Guinée Conakry. En bref, la « Grande Sénégambie » qui ignore l’émiettement issu de vicissitudes résultantes des contradictions internes et externes inhérentes aux sociétés en mutation .Notre intervention dont l’objectif principal est de renforcer les relations intercommunautaires, dans un monde en perpétuelles mutations, en proie à des conflits de toutes sortes, au point de pousser les uns et les autres à penser que le repli identitaire, le grégarisme, le rejet ou le mépris des autres constituent un salut, concernera d’une part les relations conflictuelles mandé-peules, d’autre part, les éléments de convergences qui caractérisent la cohabitation de ces peuples. Il s’agit précisément de démontrer de façon implicite ou explicite que les confits sont moins importants au plan purement ethnique que les rapports de convivialités et la solidarité et les relations de bon voisinage entre Mandé et Peuls.Les relations conflictuelles mandé-peules dans la SénégambiePour faire honneur à la terre gambienne qui a chaleureusement accueilli ce colloque qui est venu à temps, nous commencerons par le Gabou. En effet, le royaume du Gabou apparaît comme le symbole de l’ensemble des étapes de la cohabitation des Mandé et des Peuls. Même le terme utilisé pour désigner ce territoire en fonction de l’ethnie- les Mandingues parlent de Kâbou, les Sérères de Kabou ou Gabou tandis que les Peuls utilisent le mot Ngabou- indiquent que c’est un royaume qui abrite une diversité ethnique. Au regard de son histoire, le Gabou se présente comme un espace pluriethnique, dans la mesure où les Mandingues y sont considérés comme des conquérants car les Baïnouks se trouvaient sur place bien avant l’arrivée des Mandingues et des autres peuples que sont principalement les Balantes, les Diolas, les Manjaques, les Peuls, etc. Sous la domination mandé, le Gabou qui s’étendait des régions du Sud du fleuve Gambie(Casamance) jusqu’au Nord de l’actuelle Guinée Bissau, présente l’image d’un royaume dirigé par un Mansa qui protégeait les Mandingues et les autres ethnies forestières (Diolas, Balantes, Manjaques), à  l’exception des Peuls qu’ils asservissaient. Cependant, il faut noter qu’au début les relations des Mandingues et des Peuls furent cordiales et se traduisaient par des échanges fructueux de produits laitiers issus des troupeaux des Peuls contre des produits agricoles provenant des champs des Mandingues. Elles se sont par la suite détériorées à cause des intérêts politico-économiques, sans compter la nouvelle donne que représente l’Islam rénovateur prôné par les Peuls. D’ailleurs, le Gabou après de bons rapports avec le Fouta-Djallon, est entré en conflit avec ce royaume théocratique peul, au milieu du XIX siècle, notamment à travers la révolte d’Alpha Yaya Molo et des Almamys du Fouta-Djallon qui aboutira à la chute du Gabou et la naissance du royaume peul du Fouladou, s’étendant de la Haute-Casamance aux terres nord de la Guinée Bissau.  Parmi les raisons évoquées pour justifier ces divergences entre les Mandingues et les Peuls du Gabou, se distinguent essentiellement les nombreuses brimades dont les Peuls sont victimes sous la domination des Mandingues et le désir des premiers d’instaurer voire  d’imposer des théocraties un peu partout en Afrique au sud du Sahara. Concernant la première raison, les relations Mandé-Peules se sont détériorées à partir du moment où, les Peuls devenus vassaux des Mandingues se voyaient imposer un système apparenté à la servitude dans la mesure où de nombreuses familles peules ont été contraintes à la sédentarisation dans les Foulakunda, offerts aux Peuls par les Mandingues. Bon nombre d’entre eux étaient obligés d’effectuer des travaux agricoles, contrairement à leur spécialité qui se trouve être l’élevage. A cela, il convient d’ajouter des impôts très élevés, des brimades et des humiliations de toutes sortes. Ils devaient par exemple être assimilés à la culture et à la langue mandingues.La deuxième raison, celle relative à l’Islam est largement étudiée par Amar Samb . En effet, dans cet article, l’auteur évoque le dessein des chefs de provinces ou Almamys peuls qui consiste à convertir ou exterminer les infidèles du Gabou, soit par la persuasion, soit par la guerre. Il souligne aussi qu’au XIXème siècle, les Almamys Alpha Ibrahima de Labé, Alpha Oumarou, Alpha Bokar Birame et Alpha Molo, ont mené au Gabou des expéditions militaires dans le cadre d’une guerre dite sainte et qui finit par affaiblir ce royaume. Ces affrontements se sont terminés par la destruction de Kansala, capitale du Gabou et la mort du dernier roi mandingue Dianké Wâli Sâné en 1865.Par ailleurs, les relations Mandé-Peules du Gabou sont quasiment identiques à celles qui ont prévalu entre ces deux peuples au Macina, autre territoire de la « Grande Sénégambie » marqué par la cohabitation de ces deux groupes ethniques.En effet, le Macina, qui correspond au royaume du Delta du Niger, à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso ou Royaume du Liptako Gourma, situé à l’Est de l’actuel République du Mali, a connu un certain nombre de conflits liés à la répartition des terres entre les populations. Ces peuples sont pasteurs, marchands, agriculteurs, pêcheurs ou artisans, d’où les rivalités entre corporations. Ainsi, les éleveurs peuls, en perpétuelle recherche de pâturage, sont souvent obligés de frôler les champs des agriculteurs bobos ou bambaras . Par conséquent, le Macina, riche de sa diversité ethnique, composée d’éléments  aux activités souvent antagonistes (agriculture et élevage) , a été  pendant très longtemps le théâtre de conflits de divers ordres. En effet, les Bambaras, après leur occupation de certaines parties du Delta, imposèrent leur domination à travers un empire qui dura près de deux siècles : l’empire bambara de Ségou qui prit naissance avec le clan Koulibaly vers le XVIIème siècle .Toutefois, les Bambaras ou Banmanans, n’arrivaient pas à garantir la sécurité de tous les peuples qui y vivaient, en particulier les Peuls qu’ils ne protégeaient pas contre les Touaregs et les Maures, et de surcroît ils les laissaient razzier par les Tonjons .Face à une telle situation, les Peuls ont tenté de se libérer du joug bambara à travers les révoltes dirigées par des Ardos(guides) tels Silâmaka, Hambodeejo ou Hamma le Rouge, etc. qui ont fait l’objet de récits épiques sur lesquels nous reviendrons. Ces révoltes sporadiques et désorganisées se sont soldées par des échecs mais ont eu le mérite de traduire l’état d’esprit et le niveau élevé de frustration des Peuls vis-à-vis du pouvoir de Ségou. Il faudra attendre l’intervention du marabout Sékou Amadou Lobbo Aïssé, sorti victorieux de la célèbre bataille de Noukouma qui consacra définitivement la libération des Peuls et la naissance de la Diina ou Régime théocratique du Macina, à la tête de laquelle se trouvait un Almamy peul. Les Peuls vont conserver le pouvoir sur ce territoire avec la Diina et soumettre à leur tour leurs anciens dominateurs jusqu’à l’arrivée d’El Hadji Omar qui conquiert le Macina dans le cadre de son Jihad ou Guerre sainte, avant que cette partie du Soudan occidental ne finisse par être dominée par le colonisateur français . Voyons à présent le traitement de ces types de relation dans le domaine littéraire.Ces rapports heurtés entre Mandé et Peuls se retrouvent largement dans la littérature aussi bien orale qu’écrite. Beaucoup de versions orales des Mandingues et des Peuls, déclamées par des griots, spécialistes du verbe dans ces sociétés en question, relatent avec passion certes, mais avec un intérêt historique avéré, les épisodes ayant marqué la rencontre des Mandé et des Peuls en Sénégambie. En guise d’exemple, nous pouvons, outre les  enregistrements que possèdent les archives culturelles de Dakar, portant essentiellement sur le « Kansala Kélo » ou la « guerre de Kansala » et les récits recueillis en Casamance, disponibles à l’IFAN, au Département des traditions orales , nous référer à l’œuvre de Maryse CONDE  et à celles de Lilyan KESTELOOT  et de Léopold Sédar SENGHOR .Maryse CONDE relate les relations antagonistes entre Bambaras et Peuls, à cause de l’instauration par ceux-ci de théocraties, d’abord à travers la Diina, ensuite par le biais de l’empire toucouleur d’El Hadji Omar. Dans la partie intitulée « Les Murailles de terre », Maryse CONDE campe le décor qui a présidé à la révolte des Peuls :   A la fin du XVIIIème siècle, le royaume bambara de Ségou dans l’actuel Mali est à l’apogée de sa puissance. Il tire sa richesse de la guerre, par conséquent du commerce des captifs qu’il réduit en esclavage, et des impôts qu’il perçoit sur les peuples qu’il tient en vassalité, en particulier les Peuls, peuples d’éleveurs, nomades ou semi-nomades  . A travers ce passage, on peut prévoir la frustration des Peuls qui se verront surexploités, d’où leurs interminables révoltes, comme celle entreprise par Silâmaka qui refusa que son père s’acquittât de l’impôt, communément appelé « prix de l’hydromel », que des émissaires de Da Monzon, roi de Ségou, étaient venus récupérer : « Allez dire à votre maître que notre or n’est pas une céréale : puisque Da est une marmite, son travail est de cuir ; la marmite pas plus que le cuisinier n’a le droit de toucher la dîme ! » .En outre Maryse CONDE fait allusion à la domination des Peuls sur le Macina, après s’être libérés du joug de Ségou : Galvanisés par leur foi, les Peuls fondent l’Etat théocratique du Macina. Un équilibre instable s’établit alors entre Bambaras farouchement animistes et Peuls musulmans. Il sera rompu par l’arrivée du marabout toucouleur El Hadji Omar, plus intransigeant encore que les Peuls et résolu à éliminer les Infidèles de la surface de la terre. Avec lui, le jihad, guerre sainte est déclenché. Ségou qui se croyait invincible est menacé et pour sauver ce qui peut l’être, doit composer avec ceux qu’elle hait. De royaume souverain, elle devient vassale des Peuls afin, unissant leurs forces, de s’opposer à l’avancée d’El Hadji Omar . Cette citation qui rejoint celle qui précède permet de saisir le processus qui a conduit au changement des rapports de force entre Bambaras et Peuls. Elle informe aussi que la différence de religion vient se greffer à l’éternel conflit agriculteurs-éleveurs. On peut également s’apercevoir que, contrairement aux apparences, ces conflits, loin d’être ethniques, sont d’autres natures, surtout que les Bambaras ont eu à s’allier avec les Peuls pour contrecarrer le « Toucouleur » El Hadji Omar (plus proche du Peul dont il partage la langue et certains rejettent même toute différence entre Peul et Toucouleur) dans son dessein de conquérir tout le Macina.D’ailleurs, Olunbunmi, l’un des personnages de Ségou qui voue une haine viscérale vis-à-vis des Toucouleurs- à cause bien sûr de leur domination sur Ségou- considérés comme des « impitoyables jihadistes ; prêts à châtier tout récalcitrant », s’est surpris en train d’éprouver une forme de sympathie à l’endroit d’El Hadji Omar en se remémorant les propos où celui-ci demandait aux Noirs de migrer vers l’est car les terres étaient en train d’être conquises par les Blancs.En somme, dans cette œuvre, Maryse CONDE démontre que les Bambaras étaient surtout animés par le désir de conserver leur authenticité, leur culture et leur religion, à savoir l’animisme, menacé par l’Islam revigoré par les Peuls. D’ailleurs cette forme d’antagonisme a existé entre marabouts peuls et ardos de la même ethnie, à l’image de la guerre que le prince Boubou Ardo Galo a menée contre le marabout peul Sékou Amadou . Dans la version que nous avons recueillie dans le cadre de notre Doctorat de troisième cycle,   on s’aperçoit à travers un certain nombre d’indices que la différence religieuse a engendré des hostilités ou du moins une certaine méfiance entre Bambaras et Peuls. L’épisode où Baa Lobbo cherche asile auprès du roi païen et celui où le héros Tidjâni s’entretient avec le prince païen sont assez édifiants .L’épopée Bambara de Ségou est une mine d’informations précieuses sur les relations entre Mandé et Peuls. En effet, dans cette œuvre, le regard de l’un sur l’autre est perceptible à travers les différents épisodes de cette grande épopée qui mettent en scène des personnages appartenant à l’une ou l’autre de ces deux ethnies, chargés de défendre les valeurs de l’ensemble du groupe auquel ils appartiennent. Ainsi, lorsque Bakari Dian le « grand homme et grand nom » , fils de berger des troupeaux royaux et qui devint le plus grand chef de guerre de Ségou » , incarne la bravoure, l’autorité, le courage et l’orgueil bambara, les héros peuls Silâmaka et Hambodeejo représentent de leur côté, l’audace, la témérité et le refus de la domination. Par exemple, Silâmaka ardo, avec son groupe de compagnons faiblement armé et largement inférieur en nombre, a osé faire face jusqu’au dernier souffle à la puissante et redoutable armée de Ségou. De la même manière, Hambodeejo, un autre héros peul du Macina, déclencha une guerre inégale contre son beau-père Da Monzon, suite à une querelle de ménage .Bacari Dian, qui avait déserté Ségou, puis reprit les armes pour délivrer cette ville de la menace de Bilissi, est présenté par certains chroniqueurs dont Charles Monteil comme un preux peul .Quant à Léopold Sédar SENGHOR, il fait cas des relations conflictuelles entre Mandé et Peuls au Gabou, dans son poème « Que m’accompagnent koras et Balafong »  où il magnifie le refus des Mandingues de se faire humilier par les « envahisseurs » peuls, propagateurs de l’Islam, d’où la célèbre devise « on nous tue Almamy, on ne nous déshonore pas ».Cependant, comme nous l’avons évoqué au début, les rapports Mandé-Peuls ne sont pas que conflictuels. Ils sont aussi caractérisés par la cordialité, la convivialité, la complémentarité voire la symbiose à telle enseigne qu’à certains niveaux, on a du mal à les distinguer.
La convergence mandé-peule en SénégambieAu Gabou, malgré la crise aigüe entre les deux communautés, des éléments concordants permettent nettement de constater la complémentarité entre Mandé et Peuls. En effet, nous l’avons noté ci-dessus, il existait des échanges de produits et de services qui rythmaient les relations des agriculteurs mandingues et des éleveurs peuls. Mieux, une fois le royaume du Fouladou en place, des Peuls (d’origine éleveurs) partageaient l’agriculture avec les Mandingues répartis en sous-groupes tels que les Sossé, les Malinkés, les Diakhankés, les Diallonkés, évoluant à côté des Wolofs, des Diolas, des Baïnouks, des Balantes, des Manjaques, bref presque toutes les ethnies anciennement établies sur le territoire depuis les débuts de l’apogée du Gabou.Sur le plan culturel et linguistique, Mandé et Peuls se partagent des valeurs comme l’attestent des emprunts de mots et de pratiques de part et d’autre, des instruments de musique et des airs musicaux communs visibles au niveau des orchestres modernes et des manifestations culturelles des deux groupes ethniques.En outre, l’ethnie sérère peut être considérée comme un élément de synthèse de la civilisation mandingue du Gabou et celle des Peuls du Fouta Toro. En effet, au XIIème siècle, l’exode des Sérères du Fouta et Namandirou va favoriser un métissage culturel fait d’éléments venus du Fouta Toro et des apports des Mandingues du Gabou.  Cette synthèse de civilisations apparaît dans l’ensemble sur le terrain, dans les pratiques culturelles, sociologiques et mêmes linguistiques et religieuses. Par exemple, la plupart des anciens Pangols sont d’origine Gabou et le terme Guélewar est à la fois utilisé chez les Mandingues, les Sérères et les Peuls du Fouta Toro où il désigne un individu de pure souche, issu d’une lignée homogène. La civilisation sérère est donc le résultat d’un métissage de deux composantes : une composante spécifiquement sérère venue du Fouta Toro et rattachée au monde peul, wolof, et une composante mandé, originaire de Gabou.Gravrand a souligné que les Sérères Niominka ont une forte influence mandingue et que dans la zone qu’il appelle « Type Sinig », se retrouve une communauté sérère fortement influencée par le Fouta Toro. Les éléments de convergence entre Mandingues, sérères et Peuls sont également visibles dans les symboles du pouvoir  comme les Jung Jung ou tambours du roi, par exemple.Par ailleurs, nous pouvons, au regard de son histoire, soutenir que le Fouta Toro est un exemple parfait du rapprochement Mandé-Peul dans l’espace sénégambien. Depuis l’ancien Tékrour jusqu’à nos jours, les populations mandingues ou d’origine mandingue cohabitent avec les Peuls. Certaines sources situent  même une présence mandé (Soninké) au sommet de l’Etat depuis les premiers dirigeants de cette partie de la Sénégambie. Pour expliquer les circonstances dans lesquelles la dynastie des Jaa Oogo  a perdu le pouvoir au Fouta Toro, les chroniques historiques se rapportant à l’ancien Fouta, racontent cette invasion :  Le Manna Mamadou Soumaré, prince animiste du groupe soninké des Aéranké, émigra du Tagant avec tous les siens, pour des raisons restées inconnues. Il attaqua la localité de Namandir, et s’en empara après trois jours d’un combat qui coûta la vie au chef Jaa Oogo. Une partie des compagnons de ce Manna s’établit à Nammandir, des unions avec les Jaa Oogo ne tardèrent pas à accroître la population . Au XIIIème siècle, comme le confirment les traditions orales et les sources arabes, le Tékrour fut victime de l’expansionnisme du Mali. Les textes mandingues recueillis à Kangaba citent le Fouta Toro parmi les pays dépendant du Mali à la mort de Soundjata. Djibril Tamsir NIANE confirme cette information en donnant le Fouta Toro comme marge occidentale de l’empire mandingue .  Les sources arabes dont Al-Umari soulignent aussi l’appartenance  du Tékrour au Mali .Le Fouta Toro apparaît donc, à partir du XIIIème siècle, comme une province de l’empire du Mali. Les Tonjons, assimilés à des Ceddos, constituent aussi un élément de similitude entre Mandé et Peuls dans la mesure où ce terme désignant en mandingue « homme par essence », correspond au Fouta Toro à un groupe de personnes étranger à la communauté poular. D’ailleurs, d’aucuns rattachent ce terme au mot « ceedu » (sécheresse) pour renvoyer à des travailleurs temporaires, communément appelés saisonniers. Les relations mandé-peules au niveau de l’aristocratie du Fouta Toro ne se limitent pas seulement aux rois mythico-légendaires tels que les Jaa Oogo et les Manna. Les Satigui, c’est-à-dire la dynastie dényanké , revendiquent leur origine mandingue, précisément leur statut de descendants de Soundjata Keita, fondateur de l’empire du Mali.En effet, d’après bon nombre de chroniques, les Satigui, de par leur ancêtre Koli Tenguela, descendrait du roi mandingue Soundiata .Dans le cadre de notre Doctorat de troisième cycle, le griot Demba Hammet Guissé, nous a livré une version de l’épopée de Tidjâni Alpha Ahmadou, neveu et successeur d’El Hadji Omar au Macina, où il confirme la parenté mandé-peule en présentant de façon exhaustive une généalogie du preux peul Oumarôwel Samba Dondé, à partir de Soundjata .A cela il convient d’ajouter les nombreux airs musicaux et chants, les faits sociopolitiques et culturels qui rythment la vie de ces deux peuples. Combien de griots mandingues ont-ils chanté « Taara », air musical composé à la gloire du conquérant toucouleur El Hadji Omar, pourtant tombeur des royaumes mandé tels que Ségou et Kaarta. De leur côté, les griots peuls chantent le « Douga » (vautour) , titre d’un air musical peul tiré du mandingue et qui renvoie au carnage, à la tuerie lors des grands affrontements qui constituent un festin pour les charognards.Que dire de l’ethnie Khassonké, ethnie intermédiaire issue du métissage biologique et culturel entre Mandé et Peuls pasteurs, originaires du Fouta Toro, de patronyme Diallo ? D’ailleurs, les Khassonké, même s’ils sont classés dans le groupe des Mandingues, se sont eux-mêmes répartis en deux sous-groupes, suivant les noms de famille. En effet, ceux qui se nomment Diallo, Sidibé, Diakité revendiquent leur origine peule tandis que les Cissoko, Konaté, Dembélé se classent dans le groupe mandingue.A propos de patronymes, Amadou Hampaté BA, démontre que la « structure ethnique de base des Peuls a permis, lors de la domination de l’empire du Mali, l’intégration des Peuls, vaincus par Soundjata, au système quaternaire observé au Mandé ». Ainsi,  les quatre clans initiaux des Peuls, ont adopté «  quatre noms du Mandé », respectivement Dyallo, Dyakité, Sidibé et Sangaré, noms qui reviennent souvent dans les chansons mandingues dédiées aux Peuls.Le même auteur poursuit en soulignant que les alliances matrimoniales Mandé-Peuls ont abouti à la naissance de grandes familles dont celles du Wassoulou, résultat du métissage des BA qui ont épousé des femmes malinké. De même, des nobles bambara se sont mariés avec des femmes peules .L’épopée bambara de Ségou,  en présentant une image reluisante des preux peuls, pourtant en confrontation avec le pouvoir bambara, offre un bel exemple de dialogue intercommunautaire entre Mandé et Peuls, surtout que les versions qui s’y retrouvent proviennent de griots du Mandé. En effet, Koumba Silamaghan, considéré comme un héros peul, défiera le roi bambara de Ségou, en courtisant sa favorite mais ira conquérir pour le compte de Ségou l’imprenable Djongolonie. Par ailleurs, dans cette œuvre, un vibrant hommage est rendu à Silâmaka du Macina, ce héros peul rebelle qui combattit Ségou jusqu’à la mort, au point d’apparaître comme le vainqueur psychologique. Le même hommage est rendu à Hambodeejo, autre héros peul qui s’est révolté contre son beau-père Da Monzon, à cause d’une querelle de ménage avec son épouse bambara Ténin, fille du roi de Ségou. Il est même surnommé du fait de cette alliance « Poulho Ségou, Bambara Kounari » , autrement dit que chez les Bambaras il est Peul, tandis qu’en milieu peul, il est appelé Bambara. L’exemple le plus édifiant dans cette épopée reste Bakari Dian, principal héros de l’armée de Ségou, pourtant désigné par le terme peul, étant donné qu’il fait partie de la famille des bergers de la cour, c’est-à-dire des personnes d’origines ethniques diverses recueillies par Da Monzon et éduquées à la manière des Peuls . Ces différents éléments permettent de lever un coin du voile sur la véritable nature des relations mandé-peules en Sénégambie mais avant de terminer cette intervention, nous souhaitons aborder brièvement le caractère humoristique qui détermine parfois certaines réactions. Les relations à plaisanteries entre Mandé et PeulsLes relations à plaisanterie- si courantes en Afrique- entre Mandé et Peuls  justifient la plupart des réactions que des esprits maléfiques ou simplement profanes se hâtent de classer dans le cadre de l’adversité. A ce propos cette dérision bambara à l’endroit du Peul pour se moquer de son mode de vie est assez édifiante : «  Fleuve blanc au milieu des eaux noires. Fleuve noir au milieu des eaux blanches… Pareils à des fourmis destructrices de fruits mûrs ; s’installe sans permission, décampe sans dire adieu… Toujours en train de partir et de revenir au gré des points d’eau et des pâturages » .Sur ce plan, Amadou Hampathé BA soutient que les Peuls entretiennent avec diverses sociétés d’Afrique occidentale au contact desquels ils se trouvent des relations à plaisanterie. Par exemple, pour se moquer du Peul, le forgeron, quelle que soit son ethnie peut se permettre de l’appeler « fauve rouge», autrement dit « sauvage rouge », expression traduite en Bambara .En outre, les Bambaras qualifient les Peuls de pingres qui préfèrent courir derrière le bovidé qu’il couvre d’éloge et d’affection plus que les membres de leur propre famille dont ils ne pleurent pas la mort, alors que quand il s’agit d’une vache ce sont des « yooyoo ! » à n’en plus finir. De leur côté, les Peuls ne manquent pas de jeter des piques dans le jardin des Bambaras qu’ils qualifient d’impies, de réfractaire à l’Islam qu’il faut convertir de gré ou de force. De même, Hambodeejo, après s’être querellé avec son épouse  bambara, lui « rasa la tête, ne lui laissant qu’une petite tresse au sommet de laquelle il attacha un cauri. Puis il la fit raccompagner d’un captif jusqu’à Ségou, chez son père Da Monzon pour dire à ce dernier qu’elle n’était qu’une Bambara. Il avance précisément ces propos : « Téné est devenue si arrogante qu’elle a tourmenté ma femme Fatoumata. Téné est orgueilleuse, mais ce n’est qu’une bambara ! ».On peut multiplier les exemples de saillies et plaisanteries si improprement qualifiées de mépris des uns vis-à-vis des autres, mais l’objectif étant d’attirer l’attention sur cette réalité qui échappe à l’œil du non initié, nous nous limiterons à ces exemples, en attendant d’autres opportunités pour approfondir la réflexion sur certains aspects de ce travail.ConclusionA l’image de la situation de l’Afrique en général, la Sénégambie en particulier a vu évoluer des sociétés venues d’horizons divers mais dont le cheminement commun a permis de tisser des liens tantôt conflictuels tantôt fraternels, à l’image de ceux entretenus par les Mandé et les Peuls.Comme nous l’avons constaté, les conflits ne renvoient pas forcément à des rivalités ethniques mais plutôt à des divergences inhérentes aux activités quotidiennes telles que l’agriculture et l’élevage, respectivement pratiqués par les Mandé et les Peuls. En outre, la question religieuse, précisément l’Islam, a été à un certain moment sinon un facteur de désunion, du moins un élément central dans les conflits Mandé-Peuls en Sénégambie. D’ailleurs, à un certain moment, des Mandé et des Peuls se sont alliés pour lutter contre d’autres Peuls venus avec El Hadji Omar dans le cadre de son Jihad.
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