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PR MOUHAMED MANIBOLIOT SOUMAH, MEDECIN LEGISTE: « J’AI PAS PEUR DU CADAVRE, MAIS DE LA MORT »

Comme un pont entre la justice et la médecine, « la médecine légale » permet aux juges d’avoir une intime conviction sur les causes exactes d’un meurtre ou d’un décès avant de donner un verdict.

Pour autant cette spécialité médicale est peu connue des populations.

En effet, la médecine légale est une science qui regroupe en son sein beaucoup de spécialisations dont les plus célèbres sont la thanatologie ou l’étude des autopsies, la médecine du travail, entre autres.

Dans cet entretien accordé à votre site préféré numéro1 : Toutinfo.net, Mouhamed Maniboliot Soumah, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, par ailleurs, médecin légiste  évoque les mystères qui entourent cette spécialité, ses peines et ses joies. Entretien.

Toutinfo.net : Y a-t-il une différence entre une autopsie avant inhumation et après exhumation ?

Mouhamed Maniboliot Soumah : Lorsqu’il y a un obstacle médico légale à l’inhumation, le médecin est tenu d’informer l’autorité judiciaire pour que  l’autopsie puisse se faire. Une fois que le cadavre est enterré, on perd beaucoup de traces lors de l’exhumation. La putréfaction commence à se faire 48 heures après l’enterrement.

Déjà à la 36e heure la tâche verte abdominale est présente, le corps gonfle. Donc si on n’a pas fait l’autopsie avant enterrement, la putréfaction effacera beaucoup de preuves. Il ne restera que des diagnostics évidents.

Un corps qui reste sous terre pendant une semaine, beaucoup de traces (traces de coups de poings ou de coups de pieds) disparaitront à cause de la putréfaction. Il n’y aura que les diagnostics évidents qui vont rester.

Par exemple, quelqu’un qui aurait pu avoir  une plaie par arme à feu et que la balle reste à l’intérieure. Avec une  radio, la balle va être retrouvée parce qu’elle ne va pas pourrir même après exhumation. Si une personne fait aussi une fracture, même après exhumation quelques jours plus tard l’autopsie pourra le constater.

Par contre si ce ne sont pas les diagnostics évidents, les autres traces notamment celles qui sont sur la peau vont disparaitre. On n’aurait plus les contenus gastriques pour rechercher un empoisonnement. La pue viendra remplacer tout.

On n’aurait plus d’urine pour aller chercher à l’intérieur des médicaments ou une  drogue qu’on lui aurait  donnés, on ne pourrait plus le faire parce que tout sera pourri. Donc mieux vaut faire une autopsie avant l’enterrement. L’exhumation ne fait que compliquer notre tâche.

Le médecin légiste a-t-il peur  de la mort ?

Rires… la question n’est pas de savoir si on a peur de la mort. Si vous demandez plutôt si on a peur du cadavre, je répondrai non. Par contre comme tout être humain nous avons peur de la mort. Quand nous faisons une autopsie et qu’on se rende compte que le corps qui est devant nous, avec tous les organes n’est plus capable de rien, cela renforce d’avantage notre foi.

Comment s‘est passée votre première autopsie ?

Tout à fait normalement. Nous avons été préparés à cela. A l’époque, en  troisième et quatrième année de médecine, on assistait à des autopsies. Ce qu’il y a d’intéressant dans la formation médicale.  Elle est une formation pratique, où dès la deuxième année de médecine nous sommes en contact avec les patients.

Lors du stage infirmier à partir de la deuxième année, vous êtes appelés à constater un décès, même si toutes votre existence vous n’avez jamais vu un cadavre.

Quels sont vos moments de bonheurs ?

(Rires). Nous avons beaucoup de moments de bonheur. Ce n’est pas parce qu’on travaille dans la médecine légale  que forcément, on est dans la mélancolie.

C’est vrai qu’on voit de la douleur de la souffrance, la mort, mais il ne faudrait pas oublier que c’est cela la médecine.

Peut-être nous avons une dimension supplémentaire qui est le cadavre, mais,  en règle général, quand quelqu’un vient à l’hôpital c’est que forcément cela  ne va pas. Il y a une détresse qui est là, quelle que soit la spécialité médicale. L’accueil du patient est important dans notre métier.

Lorsqu’il s’agit d’une autopsie l’accueil de la famille de la victime est important.

Parlez-vous de votre travail à votre famille ?

Non.  Nous avons une obligation de discrétion (sic).

Y a-t-il parfois des divergences avec les enquêteurs ?

Il faut savoir aussi où s’arrête notre rôle. On nous demande un avis technique. Et nous donnons un avis technique. Maintenant,  l’interprétation qui en sera faite, que le juge en tienne compte ou pas, cela n’est plus de notre ressort. Chaque avis technique,  nous  l’étayons  avec des preuves scientifiques adéquates.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans la pratique de votre métier ?

Etant souvent impliqués dans les procédures judiciaires, des intérêts contradictions peuvent survenir. Il peut  y avoir des divergences sur certaines choses, mais cela fait partie de la médecine aussi. Nous recevons un public où certains sont plus aimables que d’autres, mais notre devoir, c’est de recevoir tout le monde et d’aller à l’essentiel,  c’est-à-dire de remplir notre mission.

En contact permanent avec les morts, est ce que les médecins légistes prennent ils certaines substances pour se soulager ?

On n’en a pas forcément besoin. N’oublions pas que l’autopsie comme les autres actes que j’ai cités avant est un acte médical. Ce que vous demandez pour le légiste est valable pour le chirurgien qui ouvre le ventre d’une personne même si elle est sous anesthésie générale. Il a le même traumatisme que celui qui  fait une autopsie. Le chirurgien a plus de responsabilités parce qu’il ne peut pas couper tout et n’importe quoi. La grande mission de l’autopsie c’est de rendre le corps dans un état qui permettra à la famille de faire le deuil.

Quelles sont vos relations avec les familles des victimes ?

C’est une question de perception. Si vous prenez, par l’exemple, le certificat médical, beaucoup de gens pensent que quand ils viennent à l’hôpital  pour chercher un certificat médical de 21 jours, ils l’auront.

Dans l’imaginaire populaire,  c’est ce qu’on a toujours fait croire aux gens. Alors, ils sont déçus lorsqu’ils arrivent  et qu’on leur dise que ce n’est pas vous qui  décidez,  mais plutôt les règles, édictées par la loi.

Ayant des connaissances en droit médical, nous savons ce qu’il faut faire et ce qu’il faut ne pas faire.

 Nous sommes parfois partie prenante dans une procédure où il y a des divergences entre quelqu’un qui accuse et quelqu’un qui se défend. Le symbole de la médecine légale rejoint un peu la justice avec la balance. On essaie d’être juste et équitable. Ce qui fait la complexité de notre spécialité est de savoir comment rester le plus impartial possible tout au long de notre carrière.

 La tâche la plus dure en médecine légale c’est comment rester un technicien guidé par la science et encadré par le droit.

Vous est-il arrivé de voir des miracles sur le corps de certaines victimes ?

Pas encore. Peut-être, j’en verrai d’ici quelques années. (Rires).

Pour certaines célébrités décédées y’a-t-il pas une pression qui entoure leur autopsie?

C’est vrai que les enjeux sont plus marqués avec le buzz autour  et  la presse.  La pression populaire aussi, mais leurs autopsies se font comme pour toutes les autres de façon très professionnelle.

Est-ce que le plateau médical est adéquat pour vous permettre de bien  faire votre travail ?

Je dirai qu’on peut mieux faire mais, je pense que les autopsies se font de façon acceptable. Mais,  je dirai toujours qu’on peut mieux faire.

( Maïmouna SANE, Toutinfo.net )