RAPPORT 2018 SUR LES DROITS DE L’HOMME AU SÉNÉGAL: Le département d’Etat américain accable le Sénégal
Les Américains chargent le Sénégal dans le rapport 2018 du département d’Etat sur la situation des droits humains. Plusieurs cas de violations de droits de l’homme, de tortures, d’arrestations arbitraires par les forces de sécurité, de manque d’indépendance du pouvoir judiciaire, de corruption notamment au sein du pouvoir judiciaire, de la police et de l’exécutif ont été relevés par les américains.
Le Département d’Etat américain a publié un rapport accablant contre le Sénégal sur la situation des droits humains au Sénégal. Le document révèle plusieurs cas de violations de droits humains durant l’année 2018. Il y est fait état de recours à la torture et aux arrestations arbitraires par les forces de sécurité, des conditions d’incarcération dures et potentiellement délétères, du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et dela corruption notamment au sein du milieu judiciaire, de la police et de l’exécutif. Il s’y ajoute l’impunité dans les cas de violences faites aux femmes et aux enfants, y compris les mutilations génitales féminines, la traite des personnes, la criminalisation des comportements homosexuels et la violence à l’encontre des personnes lesbiennes, gays, bi-sexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) ainsi que le travail forcé. Selon le même document, les pouvoirs publics ont pris des mesures pour enquêter sur les exactions commises par des agents de l’État, traduire en justice et punir les responsables, qu’ils appartiennent aux forces de sécurité ou à d’autres secteurs de l’administration gouvernementale, mais l’impunité existe. Le Département d’Etat américain évoque des cas d’exactions qui illustrent ses allégations plus haut. «Il a été signalé au moins une fois que les pouvoirs publics ou leurs agents avaient commis des exécutions arbitraires ou extrajudiciaires. Le 15 mai, un chef d’unité de gendarmerie a tué par balle Fallou Sène, étudiant en 2e année d’université, lors d’un affrontement entre les étudiants et les forces de sécurité à l’Université Gaston Berger. Les autorités ont ouvert une enquête sur le meurtre, mais celle-ci était restée en instance et aucune arrestation n’avait encore eu lieu à la fin de l’année (Ndlr, 2018)», déplorent les Américains.
TORTURES ET TRAITEMENTS CRUELS
Des cas de maltraitance physique commis par les forces de l’ordre sont également signalés dans le document. On accuse les forces de défense de recourir parfois à une force excessive ainsi que des traitements cruels et dégradants dans les prisons et les centres de détention. Les méthodes de fouille au corps et d’interrogatoire sont critiquées. «La police aurait forcé des détenus à dormir à même le sol, braqué des lumières aveuglantes sur eux, les aurait frappés à coups de matraque et les aurait gardés dans des cellules très peu aérées», indique la même source. Mais le gouvernement a balayé d’un revers de main ces accusations en déclarant que ces pratiques n’étaient pas généralisées et qu’il menait généralement des enquêtes officielles sur les allégations de maltraitance. Toutefois, se désolent les Américains, ces enquêtes étaient souvent prolongées de manière non justifiée et donnaient rarement lieu à des mises en accusations ou à des inculpations. Ils en veulent pour preuve le décès en juin du jeune marchand Mamadou Diop en garde-à-vue suite à son arrestation pour recel par des agents de police à son appartement à la Médina. «Les examens post-mortem ont révélé que son décès avait été provoqué par des blessures à la tête. L’enquête sur l’affaire était encore en instance à la fin de l’année», dénonce-t-on du côté de Washington où on n’omet pas les trois allégations d’exploitation sexuelle et de maltraitance à l’encontre de casques bleus sénégalais avant 2018 qui sont encore en instance. Le département d’Etat américain relève aussi des arrestations arbitraires durant l’année 2018 au Sénégal. Alors que la Constitution et la loi interdisent les arrestations et les détentions arbitraires, écrivent les rapporteurs, «le gouvernement n’a pas toujours respecté ces interdictions. La loi autorise les détenus à contester le fondement juridique ou le caractère arbitraire de leur détention et à obtenir une libération rapide et des indemnités s’il est établi qu’ils ont été illégalement détenus, mais, faute de conseils juridiques adéquats, cela s’est rarement produit».
CORRUPTION ET EXACTIONS DES FORCES DE SÉCURITÉ
Le rapport indexe aussi le refus des autorités de sanctionner des agents de forces de défense impliqués dans des cas de corruption et d’exactions. D’après le document, les autorités protègent les agents véreux. «Bien que les autorités civiles aient en général exercé un contrôle efficace sur la police, la gendarmerie et l’armée, le gouvernement ne disposait pas de mécanismes efficaces pour sanctionner les exactions et la corruption. Bien que chargée d’enquêter sur les exactions de la police, la Division des investigations criminelles (DIC) n’a pas su remédier à l’impunité et à la corruption», souligne-t-on. Les forces de sécurités sont incriminés également pour violations des procédures d’arrestation et traitement des personnes en détention. Sauf si un crime est flagrant, soulignent les Yankees, la police doit obtenir un mandat du tribunal pour procéder à l’arrestation et à la détention d’un suspect. «Mais dans la pratique, la police traite la plupart des affaires comme des infractions en flagrant délit et procède à des arrestations sans mandat, en invoquant la loi qui lui octroie des pouvoirs étendus de détention des prévenus pendant de longues périodes avant de les inculper. La Dic peut détenir des individus jusqu’à 24 heures avant de les relâcher ou de les inculper», fait-on remarquer. Selon les Américains, la libération sous caution est rare et les autorités n’autorisent généralement pas les familles à rendre visite à un détenu.
L’AFFAIRE KHALIFA SALL S’INVITE DANS LE RAPPORT
Les autorités américaines ont soulevé des cas de violations de procédures applicables au déroulement des procès. D’après le rapport, le nombre de dossiers en souffrance, le manque d’avocats (surtout dans les régions en dehors de Dakar), l’inefficacité et la corruption du système judiciaire et la longue durée des détentions provisoires ont compromis bon nombre des droits des accusés. L’affaire Khalifa Sall entre dans ces cas, selon les auteurs du rapport. «En mars 2017, les autorités ont arrêté Khalifa Sall, maire de la ville à l’époque, l’un des leaders de l’opposition, pour utilisation frauduleuse de fonds publics. M.Sall a été élu à l’Assemblée nationale en juillet 2017, alors qu’il était toujours en détention, et il s’y trouvait encore à la fin de l’année», relève le rapport qui rappelle que Khalifa Sall a été reconnu coupable et a été condamné à cinq ans de prison le 30 mars 2018. «Le 29 juin, la Cour de Justice de la Cedeao a convenu que le gouvernement avait violé les droits de M. Sall, y compris son droit à l’immunité parlementaire, en ne le relâchant pas dès qu’il avait été élu à la législature. La Cour de la Cedeao a ordonné au gouvernement de verser des dommages-intérêts à M. Sall et ses coaccusés. Malgré ces irrégularités, le 30 août, une cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de première instance, et le 31 août, le Président Sall a émis un décret pour démettre», souligne le département d’Etat.
CORRUPTION ET MANQUE DE TRANSPARENCE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
Le rapport de l’Ofnac qui avait éclaboussé des responsables dans l’administration s’est invité aussi dans le document. «La loi sanctionne au pénal les actes de corruption des agents de l’État, mais elle n’a pas été souvent appliquée de manière efficace par le gouvernement. Des agents de l’État se sont fréquemment livrés en toute impunité à la corruption. Des cas de corruption au sein du gouvernement ont été signalés au cours de l’année», rapportent les Américains qui déplorent l’éviction de la présidente de l’Ofnac, Nafi Ngom Keita, puisqu’il n’y a plus de rapport depuis son départ. «Le premier rapport annuel de l’Ofnac en 2016 avait conclu que les pots-de-vin, le détournement de fonds, l’abus de pouvoir et la fraude demeuraient répandus au sein des institutions gouvernementales, en particulier aux ministères de la Santé et de l’Éducation, dans les services postaux et à l’administration des transports. Le président de l’Ofnac a été démis de ses fonctions deux mois plus tard et l’organisation n’a pas publié de rapport depuis lors», souligne le document. Discrimination et abus baséssur l’orientation sexuelle. Le département d’Etat américain dénonce la persécution des homosexuels et des lesbiennes. «L’activité sexuelle consensuelle entre adultes de même sexe, quela loi définit comme un «acte contre nature», est une infraction pénale passible d’un à cinq ans de prison et d’une amende.Cette loi a, cependant, été rarement appliquée», souligne la même source. Pourtant, regrettent les auteurs du rapport, «aucune loi n’interdit la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre». Il n’existe pas non plus, à leurs yeux, de loi sur les crimes haineux qui puisse être invoquée pour poursuivre en justice les auteurs d’infractions motivées par des préjugés contre les personnes LGBTI. «Les personnes LGBTI ont été confrontées à la discrimination généralisée, l’intolérance sociale et des actes de violence. Certaines d’entre elles ont été victimes de menaces fréquentes, d’agressions collectives, de vols, d’expulsions, de chantage et de viol. Des militants LGBTI ont également dénoncé la discrimination en matière d’accès aux services sociaux», mentionnent les rapporteurs. En guise d’exemples, les Américains citent la descente de la police à un domicile à Keur Massar le 8 juin sans mandat, après avoir été informée que les habitants étaient des personnes LGBTI. «11 personnes étaient présentes au moment de la descente et deux d’entre elles, des demandeurs d’asile de Gambie, ont été arrêtées. Selon des témoins, ces deux personnes auraient subi des tortures en garde à vue, y compris des coups et des électrochocs. On les aurait privées de nourriture, d’eau, d’accès à un avocat et d’assistance médicale. Le 9 juin, quatre autres personnes présentes dans la maison au moment des faits, deux Sénégalais et deux demandeurs d’asile gambiens, se sont rendus au commissariat de police pour se renseigner sur le sort de leurs amis en détention. Tous les quatre ont été arrêtés dès leur arrivée au commissariat. Trois d’entre eux ont été libérés après 24 heures». Mais les accusés ont été acquittés de tous les chefs d’accusation, faute de preuves le 12 juin.
LES MAUVAISES CONDITIONS DES INSPECTEURS DU TRAVAIL ET LE MANQUE DE MOYENS FAVORISENT LES INFRACTIONS
Le Département d’Etat a sévèrement critiqué l’Administration de Travail du Sénégal qui manque de tout. D’où son incapacité, d’après le rapport, à faire appliquer les textes. Ce qui est à l’origine de la précarité des employés. «Le ministère du Travailest, par l’intermédiaire de l’Inspection du Travail, chargé de l’application des normes relatives au travail dans le secteur formel ; les contrevenants sont officiellement passibles d’amendes et de peines de prison, mais ces dispositions n’ont pas été appliquées régulièrement et ont été insuffisantes pour dissuader les violations», déplorent-ils. Ils indexent les mauvaises conditions de travail des inspecteurs du travail. «Les inspecteurs du travail devaient s’acquitter de leurs fonctions dans de mauvaises conditions et ne disposaient pas de moyens de transport adéquats pour meneravec efficacité leur mission. Le nombre d’inspecteurs du travailest insuffisant pour garantir le respect des dispositions en vigueur. Les infractions aux règles applicables aux salaires, aux heures supplémentaires et aux normes de sécurité et de santé au travail ont été fréquentes», relève le rapport. En raison du taux de chômage élevé et de la lenteur du système juridique, indique la même source, «les travailleurs ont rarement exercé leur droit nominal de se retirer de situations qui présentaient un danger pour leur santé ou leur sécurité».
( Ousseynou BALDÉ avec Toutinfo.net )