IDRISSA DIABIRA, DIRECTEUR GENERAL D’ADEPME: «Plus de 97% des PME ne disposent pas d’états financiers au sens du fisc»
Le Directeur Général de l’Agence de Développement et d’encadrement des Petites et Moyennes entreprises (Adepme), Idrissa Diabira, fait le diagnostic des difficultés confrontées par les petites moyennes entreprises (PME)du Sénégal. Dans cet entretien accordé à«L’As», Idrissa Diabira relève plusieurs problèmes liés notamment à l’accès aux financements, à la commande publique, au scepticisme de se formaliser et à la lenteur du paiement des dettes contractées par l’Etat.
Quelles sont les véritables difficultés que vous avez rencontrées dans l’exécution de votre mission ?La radioscopie des Petites et Moyennes Entreprises (PME) a été réalisée par l’ANSD lors du recensement général des entreprises, en 2016. Cettecartographie permet d’avoir unregard précis sur les PME du Sénégal, en particulier leur nombrequi est de 408 000, leur répartition entre les grandes entrepriseset les entreprenants, c’est-à-dire l’auto-entreprenariat qui fait moins de 30 millions de francs CFA de chiffre d’affaire. Nous avons 0,2% de grandes entreprises qui ont plus de deux milliards de francs CFA de chiffre d’affaires et 99, 8% qui sont en dessous et qui constituent l’essentiel des PME au Sénégal. On dénombre plus de 97% d’entreprises qui ne disposent pas d’états financiers au sens du fisc. On note aussi que 60% de ces entreprises sont situées sur l’axe Dakar, Thiès et Diourbel. On se rend compte que nous avons beaucoup d’entreprises formelles dans le pays ainsi qued’autres qui ont des tailles critiques. On voit sur ces aspects lesdifférents défis des entreprises,c’est-à-dire le caractère informel, leur compétitivité. Car les 0.2% des entreprises font 70% de l’ensemble du chiffre d’affaires. Le diagnostic montre également un problème de lisibilité du dispositif d’appui puisque les entrepreneurs disent ignorer les acteurs qui les accompagnent, mais connaissent la Chambre de Commerce, un peu l’ADEPME, le FONGIP, l’APIX, mais pas suffisamment. Donc, ils ont un problème de lisibilité et de cohérence.
Beaucoup d’entrepreneurs se plaignent d’un problème de financement. Est-ce que le FONGIP et le FONSIS n’ont pas manqué d’efficacité ?Je pense qu’ils sont efficaces. Il faut revenir à des constats faits par les différentes études et concertations comme celle sur le crédit en 2003 et en 2010 qui ont indiqué les principales problématiques au financement, notamment des entreprises. Plusieurs grands défis ont été mis en exergue. D’abord, il y a l’absence de garanties dans le système ; des structures de capital investissement et le déficit d’information.C’est ce qui fait que les structures qui ont vocation à financer les PME se retrouvent dans des difficultés de le faire. Ces grandes questions ont été résolues dans le cadre du septennat du Président Macky Sall, puisque le fonds de garantie n’existe pas. On va essayer de mettre en place un dispositif pour cela. Et si on regarde le bilan du Président Macky Sall, c’est 50 milliards FCFA qui ont pu être mobilisésauprès des institutions financières privées pour les PMI, PME et groupements, notamment par le refinancement des systèmes financiers décentralisés par la garantie en deuxième rang en faisant de sorte que des banques puissent intervenir. Je pense que cette somme n’est pas négligeable, même si elle n’est pas aussi importante par rapport au gap de financement annuel estimé à près de 500 milliards Fcfa. Mais, cela montre qu’un outil du chef de l’Etat en 2012 a été mis en œuvre pour combler le dispositif financier au niveau de notre pays. Ce capital investissement a été mobilisé par le FONSIS et la CDC. Ensuite, la règlementation faisait défaut et était assez pauvre surtout sur tout ce qui touche le capital investissement au Sénégal. Mais, il a été résolu à partir d’un outil.
L’autre souci des Pme, c’est l’accès à la commande publique. Y-a-t-il des efforts de l’Adepme dans ce sens ?
C’est pareil, l’outil de notation estune porte d’entrée pour que l’entreprise puisse se connaître et accéder à la commande publique. Pour pouvoir être éligible aux marchés publics, il faut que l’entreprise seformalise. Et une grande partie ne peut pas y accéder, parce qu’elles sont dans l’informel. Pour que les Pme jouent un rôle plus important à l’horizon 2025, des travaux ont montré que le premier pilier de ce cadre, c’est l’accés des Pme aux marchés publics, intérieurs et exports. Parce que c’est quand on a la capacité d’accéder aux marchés que l’on peut avoir une garantie auprès d’une banque ou d’un accompagnement. Vous pouvez avoir la volonté d’être un entrepreneur, mais si ce que vous produisez ne vous permet même pas d’être ouvert aux marchés, l’entreprise est vouée à l’échec. Donc nous accompagnons les gens quiont la volonté de devenir entrepreneur. La commande publique, c’est un peu moins de 30% des Pme qui y accèdent. L’idée est de voir comment aller au-delà des 40% voire 50%. Il faut que les entrepreneurs, les acteurs l’Etat puissent s’accorder pour que ces entrepreneurs puissent se formaliser,se labéliser pour avoir le carnet de santé de leurs activités. Dans ce sens, l’agence offre des subventions aux entreprises à hauteur de 90% et de l’assistance immatérielle. Cela permet à l’entreprise de changer d’échelle pour être éligible et mieux aller en compétition au volet de la commande publique.
Les entrepreneurs qui accèdent à la commande publique se plaignent aussi de la dette de l’Etat. N’y-a-t-il pas un moyen de raccourcir le délai de paiement de la dette ?Cette question fait partie des défis à relever. Les défis concernent le secteur financier, l’Etat, les grandes entreprises et les fournisseurs. La durée de paiement de la dette peut être longue et peut mettre en difficulté la trésorerie des entreprises. L’Etat du Sénégal est en train de mettre en place la Caisse centrale des marchés publics avec la Caisse des dépôts et consignations. Elle va jouer le rôle de tampon de manière systé-matique pour le paiement des prestations faites pour le compte de l’Etat. Les études sont terminées et c’est quasi imminent. Cela va permettre d’intervenir de manière beaucoup plus importante sur la difficulté que les entreprises connaissent en échangeant avec l’Etat. Plus largement encore, c’est tout ce qui touche à la question du facturage. Aussi, l’Adpme a lancé avec une structure privée et le bureau d’opération et de suivi du Pse, un programme national de divers factoring. Cela permet aux Pme de rentrer dans leurs ressources avant la fin de leur prestation. Aujourd’hui, pour pouvoir développer les Pme, il y a deux choses comme la commande publique et les grandes entreprises. Les grandes entreprises font dans la sous-traitance avec les entreprises nationales. C’est toute la question du contenu local avec les cas de contraintes que l’on évoque comme le pétrole et le gaz qui sont à la mode. Si vous voyez le secteur de lagrande distribution aujourd’hui,on parle beaucoup d’Auchan,mais la question n’est pas leurprésence au Sénégal, mais plutôtla capacité de vendre des produits made in Sénégal. Le vrai débat est la place des produits sénégalais dans les grandes surfaces. La loi qui a été mise en place en Octobre 2018 pour réglementer la présence des grandes surfaces avec les Pme, met en exergue aussi la nécessité d’avoir des produits pour renforcer les produits locaux made inSénégal au sein des grandes surfaces. Les conditions sont réunies pour avoir comme aux Etats Unis le Small business, c’est-à-dire les dispositions réglementaires, administratives pour accompagner plus largement les Pme et les entreprises. Je pense que l’on est prêt à le relever et il sera le plus grand défi du quinquennat.
Est-ce que vous avez une idée de la part des Pme dans la commande publique ?
Les Pme ont un peu moins de28% dans la commande publiquede manière générale. Comment faire pour avoir 40% pour les Pme, si on les accompagne mieux, si on sélectionne celles qui sont éligibles dont certaines sont très en mesure de le faire.
N’avez-vous pas remarqué une certaine réticence des entrepreneurs sénégalais à se formaliser puisqu’ils redoutent la fiscalité ?
L’informel s’est beaucoup développé et le privé national fondamentalement n’a pas réussi à prendre sa place. Cela tient à la faiblesse du privé national. Le Président Macky Sall est en trainde relever le défi d’avoir un privé national fort, dynamique et susceptible de porter la croissance, de la maintenir et de l’amplifier. Le scepticisme que vous évoquez, il est historique et il tient au fait que les entreprises ne soient pas assez compétitives. Tout est relatif. Si ce que vous produisez est acheté même lorsque l’on vous taxe beaucoup si le différentiel est là, l’entreprise va prospérer. Maintenant si votre activité n’a pas une compétitivité suffisante dans le pays, toute taxe serait de trop. Au mois d’octobre dernier,le conseil des ministres a adoptéla nouvelle loi sur le développement des entreprises qui prénnent en compte les dispositions pour développer les entreprises. Cette loi est associée à des dispositions fiscales qui doivent être prises en compte dans le code général des impôts. Beaucoup de gens qui viennent nous voir disent avoir besoin de 100 millions pour son activité. Mais lorsque vous commencez à travailler avec eux, vous vous rendez compte que l’activité n’est pas assez rentable et la personne n’est pas en mesure de gérer son stock.
Est-ce qu’il y a des financements innovants ?Oui, il en existe maintenant. Le capital investissement, c’est innovant mais les dispositions au niveau du Sénégal ne permettent pas de le mettre en place à l’échelle où cela doit se faire. Parce que rentrer dans une entreprise, mettre des ressources pour ressortir cela se dit innovant ailleurs. On parle du financement par le nombre. Je pense que l’on a des outils de solidarité que l’on doit exploiter davantage. Le défi du chef de l’Etat avec les outils qu’il a mis en place comme la DER, c’est comment on passe d’un salarié de masse à un entreprenariat de masse. Si nous avons beaucoup de gens qui sont salariés, ils peuvent cotiser pourmettre en place les outils pour se protéger de différents risques de maladies.
Vous étiez dans le pôle communication lors de la présidentielle. Attendez-vous unposte de ministre ?Je n’attends rien. Quand on a la chance d’être impliqué dans une aventure collective qui est celle de servir son pays où l’Etat, je pense on n’attend rien de plus. Il faut être en mesure de servir de manière totalement désintéressé. Je viens du secteur privé, ma satisfaction, c’est d’être en mesure d’apporter des éléments de réponses parce que j’ai coordonné le programme présidentiel en 2012 pour le Sénégal de rêves. Dans mes prières, je demande à Dieu de m’accorder ce qui est le mieux pour moi.
Etes-vous satisfaits de la contribution de votre mouvement ?Le mouvement «Yokkuté Diaral nagnou ko», c’est-à-dire le «développement ça nous concerne» apporte sa pierre à l’édifice. J’ai la conviction que le développement du Sénégal doit se faire avec une participation citoyenne encore plus importante. C’est quand les citoyens s’approprient du développement que la transformation la plus importante se fera. L’Etatne peut pas tout faire. Et nous ne pouvons pas tout attendre de l’Etat.
Quels doivent être les axes prioritaires du quinquennat ?Ils ont été définis dans le programme du chef de l’Etat, notamment avec le zéro bidonville, zéro déchet et villes créatives. Avec les nouveaux caps qui ont été mis en exergue avec la jeunesse, l’industrie, la mondialisation, avec ces accès à l’universel, le défi de ce quinquennat est de renforcer encore le contrat social entre l’Etat et les citoyens. L’accès universel que propose le chef de l’Etat sur l’eau, l’électricité, la mobilité est possible même dans nos contrées. Il faut consolider le fait que le Sénégal n’est pas le Sénégal de quelques-uns, il s’est traduit par des politiques publiques en matière de protection sociale et d’universalité. L’autre défi est le secteur privé national soit le moteur de l’émergence.
( Interview réalisée par,Ousseynou BALDE )