DISSOLUTION DE L’ASSEMBLEE NATIONALE ET COUPLAGE DES ELECTIONS: Ce que cache le dialogue de Macky Sall
Après l’annonce des résultats du scrutin du 24 février, le Président Macky Sall fraichement réélu a ouvert ses bras à ses adversaires. Une partie de l’opposition demeure tout de même sceptique, parcequ’ayant toujours en tête le fameux dialogue du 28 mai 2016 et les dernières concertations sur le processus électoral. Une attitude réaliste quand on sait que l’actuel Président se sert toujours de dialogue pour se défaire de l’étau lorsqu’il se sent étreint dans un nœud de vipères.
En dépit du plébiscite auquel il a eu droit (réélu avec 58,26% des voix pour un mandat de cinq ans), Macky Sall n’est pas euphorique. Il se la joue modeste et lance un appel à «un dialogue ouvert et constructif dans l’intérêt supérieur de la Nation». Mieux, il fait un clin d’œil à ses prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, pour qu’ils apportent leurs contributions à ce dialogue national qu’il veut inclusif. Pourtant, le Président élu n’en est pas à son premier coup en parlant d’ouverture et de dialogue. Durant son premier mandat, il a maintes fois appelé à des concertations : soit elles ne sont pas suivies d’effet ;soit elles ont eu pour unique objectif la légitimation d’une manœuvre politicienne. C’est pourquoi, beaucoup d’observateurs doutent de la réelle volonté du chef de l’Etat de dialoguer et le soupçonnent de vouloir noyer davantage le poisson pour faire passer en douce le couplage des locales avec les législatives le premier décembre prochain. Ce qui permettrait ainsi de légitimer cet état de fait, en raison de le rationalisation du calendrier électoral. Pour qu’au final qu’il puisse prendre un décret de dissolution de l’Assemblée nationale avant décembre 2019, et organiser en même temps les élections locales et les élections législatives. Au delà du caractère empirique, il amorce le mandat le plus difficile. S’il ne manœuvre pas, il risque de faire face à une crise institutionnelle sans précédent. S’il ne dissout pas l’Assemblée nationale, cette législature court jusqu’en 2022. Or, cette élection sera à haut risque pour lui. Déjà aux dernières législatives alors qu’il détient les pouvoirs, sa coalition a failli imploser avec des défection d’envergure notamment Abdou Nguett , Diop Sy, etc. A fortiori maintenant qu’il ne lui reste plus qu’un mandat de cinq ans non renouvelable. Son leadership et sa marge de manœuvre seront réduits. Il pourrait ainsi vivre une cohabitation si jamais il lui arrivait de perdre sa majorité au Parlement lors des élections législatives de 2022. Une possibilité qui peut survenir à deux ans de la fin de son mandat. Ce scénario est plausible, si l’on sait qu’il n’aurait plus la main mise sur son appareil du fait des ambitions diverses déjà latentes qui s’expriment dans son camp. Le cas contraire, il fera face à une nouvelle disposition blindée par la Constitution qui ne permet au président de dissoudre l’Assemblée qu’après deux ans d’exercice.
LEÇONS DES PRÉCÉDENTES CONCERTATIONS
Une partie de l’opposition semble apercevoir le coup venir. C’est pourquoi, elle n’est pas disposée à participer à ce dialogue et se laisser tromper une énième fois par lerégime de Macky Sall. A vrai dire, l’appel au dialogue du 28 mai 2017 est resté en travers la gorge d’une certaine frange de l’opposition. Puisque on s’est rendu compte finalement que l’objectif était de gracier Karim Wade avec en suiteun prétendu «exil forcé» au Qatar. D’aucuns soutiennent que c’était en réalité un deal entre Macky Sall et Abdoulaye Wade. Idrissa Seck, sorti deuxième à l’issue du scrutindu 24 février, avait parlé de deal international. Et l’histoire semble lui donner raison puisqu’à part la libération de Karim Wade, aucun acte de plus n’a été posé. En 2017 comme en 2018, la journée dédiée au dialogue n’a pas eu lieu alors qu’elle a été institutionnalisée dans le calendrier républicain. Un autre élément qui pousse à dire que cet appel au dialogue n’est pas sincère, ce sont les concertations sur le processus électoral qui, en plus du parrainage élargi aux partis politiques, enregistraient d’autres points comme la rationalisation des partis politiques, la désignation du chef de l’opposition entre autres. Mais force est de constater que c’est le parrainage qui intéressait le pouvoir ainsi que la modification de l’article L57 du Code électoral qui exigeait le statut d’électeur aux candidats pour la présidentielle. Le parrainage a ainsi permis d’écarter une vingtaine de candidats à la candidature. L’opposition dite représentative avait d’ailleurs très tôt boycotté. Une autre frange regroupée autour de l’entité dénommée Cadre de l’Opposition pour la Régularité, la Clarté et la Transparence des Elections (Correcte) va finalement bouder les concertations après avoir imposé la loi sur le parrainage. Tout ceci pour dire enfin que tout était recherché sauf le consensus.
( Amadou BA et Seydina Bilal DIALLO )