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CHEIKH HAMIDOU KANE, AUTEUR DE L’AVENTURE AMBIGUË: «Malgré les tensions actuelles, il faut savoir reconnaître les mérites de l’exception sénégalaise

La situation politique du Sénégal est délétère depuis plusieurs jours notamment avec la révocation du maire de Dakar. Cependant, l’écrivain Cheikh Hamidou Kane soutient que : «Malgré les tensions actuelles, il faut reconnaître les mérites de l’exception sénégalaise». Il l’a affirmé lors d’un entretien accordé au journal Le Monde à l’occasion de ses 90ans.

Qui veut devenir sage doit écou- ter la parole du vieillard. Et encore plus si ce dernier n’est personne d’autre que l’illustre Cheikh Hamidou Kane. L’auteur de l’Aventure Ambiguë, témoin privilégié de l’histoire politique du Sénégal reste toujours opti- miste malgré les soubresauts de la vie politique du pays. «Malgré les tensions actuelles, il faut savoir reconnaître les mérites de « l’exception sénégalaise», sou-ent l’écrivain qui a été lauréat du Grand Prix Littéraire en 1962. L’ancien gouverneur de la région de Thiès pense que cette belle cohésion est due «à la coexistence harmonieuse entre l’Islam, le Christianisme et les autres confessions». A l’en croire, «c’est grâce aussi à un Islam imprégné de valeurs traditionnelles».
Ancien chef de cabinet du ministre du Développement et du Plan, Cheikh Hamidou Kane a profité de cette tribune offerte par le Journal français pour jeter un regard critique sur le devenir de l’Afrique. «L’Afrique n’existe plus. Elle a perdu son initiative poli- tique et son identité endogène. A l’école, ce sont les langues du colon qui sont enseignées. La législation, l’organisation sociale et familiale sont calquées sur celles de l’Occident », constate l’auteur des Gardiens du Temple, roman paru en 1995. Et selon lui : « Il faut donc que l’Afrique redevienne elle-même en se basant sur les structures antérieures à la colonisation».
Poursuivant sa plaidoirie pour une Afrique radieuse, il préconise de revenir «à la charte du Mandé, élaborée en 1236 dans l’Empire du Mali, pour redéfinir notre organisation et nos institutions». Elle régissait les relations familiales, prônait les valeurs de respect, de solidarité et permettait la diversité. Il existait une vraie citoyenneté Ouest-africaine dans l’Empire du Mali. Les habitants pouvaient circuler d’un endroit à un autre en changeant de patronyme. Un Mandingue qui s’appelle Diarra, une fois chez les Wolofs, prenait le nom de Ndiaye ou Diatta. Cela permettait une coexistence harmonieuse entre les communautés. Nous pouvons reprendre ce modèle, pas besoin de chercher ailleurs», souligne l’ancien directeur des Industries Chimiques du Sénégal (ICS).
Il a indiqué aussi que : «Les jeunes doivent au plus vite s’emparer de ce sujet. Ils doivent se battre pour créer au Sud du Sahara un espace géopolitique et économique autonome et l’imposer aux dirigeants actuels qui ne comprennent pas que leurs pouvoirs ne sont, comme le disait Senghor quand il luttait contre la balkanisation, que des joujoux et des sucettes». L’Afrique selon l’écrivain est le continent le plus riche en ressources naturelles dont a besoin l’ensemble de la planète. «Comment voulez-vous que nous les défendions et que nous les échangions à leur juste prix si nous le faisons en ordre dispersé ? », s’interroge-t-il.
Et sur la gestion des ressources en Afrique il pense que, «s’il y avait une autorité commune pour gérer par exemple les ressources pétrolières, l’Afrique aurait plus de poids sur la scène internationale». Par ailleurs, le ministre Cheikh Hamidou Kane est revenu sur son enfance et sur l’époque coloniale. «Lorsque j’étais enfant, j’ai connu l’humiliation que peuvent ressentir tous ceux qui voulaient accéder au même niveau de connaissance que les Blancs alors même qu’ils avaient en face d’eux des gens qui les méprisaient. Les colons ont tenté de nous faire admettre que nous étions des êtres inférieurs, incapables de faire autant sinon mieux qu’eux. Ils ne s’opposaient pas au fait que des «indigènes» aillent dans leurs écoles, mais ils nourrissaient pour nous des ambitions limitées», se souvient M .Kane qui ajoute que : «Nous étions programmés pour devenir des auxiliaires, pas au-delà ! On pouvait ainsi devenir infirmier, mais pas docteur en médecine».

(Mamadou Mbakhé NDIAYE  « L’AS » avec Le Monde et Toutinfo)