Macky Sall a raison, l’opposition ne le connaît pas assez (Par Mody Niang)
La presse a rendu compte de l’audience-marathon que le président-politicien a accordée à une délégation de trois cents (300) personnes de l’APR de Matam, conduite par son griot Farba Ngom. La cérémonie s’est déroulée dans la Salle des Banquets du Palais de la République. Elle a duré cinq (05) heures d’horloge au cours desquelles il a écouté trente (30) orateurs. Dans ses réponses, il a eu notamment à étaler toute sa sérénité, tout son optimisme par rapport à l’issue de l’élection présidentielle du 24 février 2019. En particulier, si elle ne se déroulait qu’à Matam et à Fatick, il dormirait sur ses deux oreilles car là, il gagnerait respectivement à 100 % et à 90 %. C’est, du moins, ce que lui fait dire la presse et nous y reviendrons.
Comme il rate rarement l’occasion pour écorcher l’opposition, le président-politicien a usé, ce jour-là, d’un vieux proverbe pulaar, d’une formule métaphorique pour la mettre en garde (1). En d’autres termes, a-t-il lâché, « ils (ses adversaires) ne savent pas à qui ils ont affaire ». Il n’aurait pas tout à fait tort car j’ai le sentiment que l’opposition ne connaît pas suffisamment cet homme qu’elle a en face. Elle ne mesure pas à leur juste valeur les nuisances dont il est capable, et sans état d’âme. Ce n’est pas seulement d’ailleurs l’opposition mais nombre de nos compatriotes qui n’appréhendent pas correctement les différentes facettes du personnage. Comme son prédécesseur et sosie, il a la chance inouïe de régner sur un peuple qui ne s’indigne pas beaucoup, en tout pas longtemps, un peuple qui donne l’impression de passer très vite sur les événements. C’est pourquoi, il faut constamment lui rafraîchir la mémoire, lui rappeler en particulier qui est vraiment ce Macky Sall et ce qu’il a fait et dit depuis le 2 avril 2012, date de son installation officielle comme quatrième Président de la République du Sénégal. Depuis cette date, il est à la tête d’un pays de treize (13) à quatorze (14) millions d’habitants. Un pays qui a compté parmi ses habitants de grands hommes, de grandes femmes ; un pays adossé pendant plusieurs siècles à des valeurs cardinales comme celles, bien connues, qui nous tournent malheureusement de plus en plus le dos. Ce pays-là se faisait en particulier une idée du chef, qui devait être bien au-dessus de la mêlée par les valeurs qu’il incarnait.
Parmi ces valeurs, nous retiendrons celle au-dessus de toutes : le respect scrupuleux de la parole donnée. L’ancien Khalife général des Mourides, Serigne Abdou Lahat Mbacké, lui accordait une importance sans limite. Il en donnait l’illustration chaque fois que de besoin. C’était le cas lors du grand Magal de 1988. A propos de respect de la parole donnée, il disait ceci : « Nit daal, boo mengëlee jëfi teyam ak waxi dembam te woro wu ñu, booy seet nit, nit a ngook. » Et il ajouta : « Gor daal, dafay am káddu, káddoom dakoy tënkk. » En d’autres termes, si tu es à la recherche d’un homme d’honneur, de dignité, donc de respect de la parole donnée, compare ses engagements d’hier à ses actes d’aujourd’hui ! S’ils se confondent exactement, tu as trouvé l’homme que tu cherchais. Le gor, l’homme d’honneur et de dignité doit respecter scrupuleusement sa parole. A la limite, il doit en être l’esclave, précisa-t-il.
Si nous partons de ce constat, nous n’avons pas un gor, un homme d’honneur et de dignité à la tête de notre pays, puisqu’il n’a aucun respect pour sa parole pour ses engagements. Je ne m’attarderai pas à donner des exemples, ce serait superflu. On en rencontre, qui crèvent les yeux, tout au long de sa gouvernance tortueuse de six ans six mois. J’ai l’habitude de l’affirmer et je le réaffirme ici avec force : sa parole ne vaut plus un copeck. Ce n’est pas tout d’ailleurs. Le président-politicien qui préside aux destinées de notre pays et qui veut rempiler dans six mois, n’est pas le chef idéal : il n’est pas juste, il est trop partisan. Il a divisé le pays en deux camps opposés : le camp de sa famille, de son parti-Etat et à un moindre degré de Bennoo Bokk Yaakaar, et l’autre qui est carrément laissé pour compte.
Dans les villes et leurs banlieues, dans le monde rural, dans l’administration, etc., partout on distingue facilement les deux camps opposés. Ce président, ce chef est manifestement injuste, foncièrement partisan. Il suffit, pour s’en convaincre, d’évoquer le cas du Maire de Dakar, condamné à cinq ans de prison ferme et cinq millions d’amende pour « faux et usage de faux sur des documents administratifs et escroquerie portant sur des deniers publics ». A moins d’un miracle, cette condamnation sera confirmée en appel. Tout cet acharnement, pour la somme d’un milliard huit cent trente millions de francs CFA ! Ce n’est pas rien cette somme, en particulier dans un pays qui a encore sa place parmi les 25 pays les plus pauvres et les plus endettés du monde. Si la faute est avérée, l’auteur doit être puni. Ce qui est insoutenable, c’est la condamnation sévère du Maire de Dakar pendant que des délinquants potentiels, qui ont fait pire que lui, respirent tranquillement l’air de la liberté à la tête de services qu’ils continuent de piller impunément. Pendant que le président-politicien s’est empressé de transmettre, par l’intermédiaire de son Premier ministre, le rapport incriminant Khalifa Sall au Parquet de Dakar, nombre d’autres dossiers mettant gravement en cause ses amis dorment sous son coude et sur la table du Procureur de la République.
Pour ne m’arrêter que sur les dossiers de l’OFNAC, du temps de la Présidente Nafy Ngom Keïta, en dix-huit mois d’activités, du 11 août 2014 au mois de Décembre 2015, l’OFNAC a finalisé une dizaine de rapports, dont les huit ont été transmis aux autorités judiciaires, sur décision de l’Assemblée générale de l’Office. Sept ont été ainsi adressés au Procureur de la République de Dakar et un à celui de Louga. Ce dernier a fait son travail car il a déféré les mis en cause devant le juge d’instruction qui, après enquête, les a placés sous mandat de dépôt. L’un d’entre eux, un ancien Directeur des Transports terrestres, a été extrait – on ne sait comment – de la prison, pour être bombardé, par décret n°2016-985 du 13 juillet 2016, Président du Conseil d’Administration du Fonds d’entretien routier autonome.
Il convient de signaler également que, par suite de dénonciations d’allégations de fausses quittances dans la plupart des centres de services fiscaux de Dakar, l’ancienne présidente avait diligenté des enquêtes portant sur huit des dix Centres que compte Dakar. En possession de preuves suffisantes, les enquêteurs avaient alors demandé l’ouverture d’une information judiciaire sur les agents mis en cause. Le 25 juillet 2016, jour même du limogeage de l’ancienne Présidente, l’Assemblée des membres de l’OFNAC avait délibéré sur trois rapports dont celui des Services fiscaux et avait décidé de leur transmission au Procureur de la République. Les trois rapports étaient en instance de transmission au Procureur au moment de la passation de service entre la Présidente sortante et sa remplaçante. Ils seront finalement transmis au Parquet. Au total donc, la Présidente Nafy Ngom Keïta, ses collègues membres et l’ensemble de son équipe ont transmis huit rapports, dont sept (07) au Procureur de la République de Dakar et un (01) à son homologue de Louga. A ceux-là s’ajoutent, naturellement, les trois rapports en instance (dont celui des Services fiscaux) qui ont été finalement transmis au Procureur de la république, par les soins de sa remplaçante.
Ces dossiers déposés auprès du Procureur de la République de Dakar, dorment encore, à ma connaissance, sur son bureau. Il est vrai que deux des dossiers incriminent gravement deux proches du président-politicien : les Directeurs généraux de la Société nationale de la Poste et du Centre des Œuvres universitaires de Dakar (COUD). Les crimes que ces derniers ont commis et continuent de commettre à la tête des deux structures, sont infiniment plus graves que les « faux et usages de faux » et autres « délits » imputés au Maire de Dakar. Peut-être, un jour, ces crimes seront-ils étalés au grand jour et les Sénégalais comprendront alors comment le politicien pur et dur qui les a dirigés a été injuste. Certains « hauts faits d’arme » des deux amis du président-politicien dépassent parfois l’entendement. Da ñuy jéggi léeg-léeg dayo.
L’ancienne Présidente de l’OFNAC avait ordonné une seconde mission pour enquêter, en particulier, sur la caisse d’avance du COUD. Dans ce cadre, le DG recevait 150 millions tous les dix jours, soit 450 millions par mois, pour acheter des légumes. Cette somme n’est pas évidemment considérable, si un kilogramme de haricot est acheté à 4500 francs. Malheureusement, la mission n’a pas abouti, l’ancienne Présidente ayant été limogée entre-temps. Notre Directeur général continue donc sûrement et sereinement son massacre de deniers publics. Lui, peut tout se permettre avec sa caisse d’avance et impunément, puisqu’il mobilise à Ndioum et à Podor.
Son ami de la Poste se distingue aussi par son management fort décrié. Le samedi 29 juillet dernier, l’Amicale des diplômés des écoles de la Poste a animé une conférence de presse à la Maison de la Presse sur le thème « Projet de restructuration de la Poste : enjeux et perspectives ». Le Président, l’inspecteur des postes Abdou Ndiaye a tiré la sonnette d’alarme en insistant particulièrement sur les problèmes notés dans la boîte. « Ce sont des difficultés de gestion de trésorerie particulièrement qui impactent négativement sur le budget de l’Etat », affirme-t-il. Et l’inspecteur des postes d’enfoncer le clou : « Aujourd’hui, la Société nationale la Poste a une dette importante vis-à-vis du Trésor public de 150 milliards de francs CFA. Nécessairement, il faut que l’Etat prenne des mesures fortes pour redresser la Société nationale ». Une dette de 150 milliards de francs CFA ! Où passe l’argent de la Poste ? Personne ne cherche à savoir : le très politicien DG mobilise à Thiès.
Par-delà les fautes sur les deniers, les deux amis du président-politicien en font d’aussi graves sur les recrutements. Celui du COUD a recruté, d’un coup, 400 jeunes originaires du Département de Podor dont 155 sont de Ndioum, la ville dont il est maire (« Décryptage », page 7, « Walfadjri » du 30 octobre 2014 : enrôlement de 400 jeunes au COUD). Son camarade de la Poste en fait autant. Sur toute l’étendue du territoire national, les bureaux de poste sont bourrés de jeunes gens venus de nulle part. Les écoles de formation de la Poste ne recrutent pratiquement plus. Au cours de la conférence de presse du 30 juillet, le Président de l’Amicale des diplômés des écoles de la Poste a dénoncé ces recrutements externes et appelé à un recrutement par voie de concours pour donner aux Sénégalais les mêmes chances d’accéder à la Poste, mais aussi par un souci de qualité de ressources humaines. Il faut fermement condamner ces recrutements et, en particulier, l’esprit qui les sous-tend. Nous sommes tous Sénégalais.
Donc, l’homme que nous avons à la tête de notre pays est profondément injuste et foncièrement partisan, et ce n’est point un bon signe pour nous si on considère ces mots d’Oumar Ibn El Khatab, second khalife après le Prophète Mouhammad (PSL) : « Sept années de disette sont préférables à une année de magistère d’un dirigeant partisan. » Ce n’est point un bon signe si, en plus, notre politicien pur et dur n’a aucun respect pour la parole donnée. Depuis six ans et demi qu’il est à la tête de notre pauvre pays, ses propos et comportements de tous les jours contredisent nettement ses engagements antérieurs. La patrie a rapidement cédé la place à son omniprésent parti-Etat. La sobriété est devenue pour lui et son camp un simple slogan. Il suffit, pour s’en convaincre, de suivre les longues caravanes de véhicules grand luxe qui le suivent pendant ses tonitruants et coûteux déplacements. Lors de la dernière coupe du monde de football, ses homologues croate et islandais lui ont administré une belle leçon d’humilité, de sobriété et de respect du bien collectif.
Point n’est besoin de s’attarder sur le fait qu’il est loin d’être vertueux. N’est-ce pas lui qui a publiquement béni la détestable transhumance et l’a pratiquement érigée en méthode de gouvernement ? N’est-ce pas lui qui profite sans état d’âme des présentations de condoléances pour débaucher des transhumants ? N’est-ce pas lui qui, pour gagner le maximum de ralliements, achète au grand jour des consciences avec l’argent du contribuable ? Tout cela n’a vraiment rien à voir avec la vertu. Un homme vertueux est surtout juste et respectueux de la parole donnée. Notre président-politicien n’est rien de tout cela. Il n’est pas, non plus, transparent. Transparence rime avec contrôle or, lui, a horreur du contrôle. La preuve, il a rendu inoffensifs et pratiquement muets nos principaux organes de contrôle. Nous sommes en fin 2018, le « Rapport d’activités » de l’OFNAC et le « Rapport public sur l’Etat de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes » de l’Inspection générale d’Etat (IGE) de 2016 et de 2017 sont toujours attendus.
Notre président-politicien devient surtout de plus en plus dangereux, notamment pas certaines de ses déclarations. Il étale sa forte conviction qu’il gagnera l’élection présidentielle à 100 % dans le Fouta et à au moins 90 % à Fatick. Cette conviction ne peut s’appuyer que sur deux raisons :
1- Il a fait dans les deux localités des réalisations qu’il n’a faites nulle part ailleurs dans le pays. Dans ce cas, ce serait injuste car, il a été élu pour le développement harmonieux de tout le pays. Oublierait-il alors qu’il est « le père de toute la Nation » ?
2- Le vote lui est acquis dans les deux localités parce que, d’une part, il serait natif de Fatick et, d’autre part… La question est tellement sensible que je n’ose pas l’aborder carrément ici. Elle nous éloigne de la tradition solidement établie que nous sommes une Nation une et indivisible. Nous n’avons vraiment que faire de certains comportements et de certaines déclarations centrifuges. Les présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade n’ont jamais déclaré publiquement que Joal, Louga et Kébémer voteraient respectivement pour eux à 100 % à l’occasion d’une élection présidentielle. Quelles que soient l’ethnie à laquelle nous appartenons et la localité d’où nous sommes originaires, nous formons un même peuple, un peuple qui devrait avoir les mêmes droits et être soumis aux mêmes devoirs. Le Président de la République, qui qu’il soit, devrait nous traiter tous sur un pied d’égalité. Ce qui serait loin d’être le cas aujourd’hui, avec le président-politicien qui nous dirige.
C’est ce président, politicien pur et dur, que l’opposition aura en face le 24 février 2019. Ce sera, pour elle, une tâche titanesque. L’homme ne se gargarise pas de morale ni d’éthique. Il dispose des trois pouvoirs et est assis sur un énorme trésor de guerre. Il peut compter, en outre, sur un ministre de l’Intérieur dévoué et qui a juré de le faire réélire. Il a déjà éliminé un candidat potentiel et mis en place une stratégie pour en éliminer bien d’autres au tout dernier moment. Ce ne seront donc pas des enfants de chœur, des chevauchées solitaires qui lui barreront la route vers un second mandat. Les différentes composantes de l’opposition devraient donc se départir de leurs différents ego et se retrouver dans trois ou quatre grands pôles. Le noyau de l’un d’entre eux ne devrait être composé que d’hommes et de femmes qui n’ont jamais été ni verts, ni bleus, ni marron ou même, quand ils l’ont été, n’ont à leur passif, aucun antécédent connu de mauvaise gestion. J’ai déjà une idée de ces hommes et femmes, mais la tâche sera rude de les mettre ensemble. Pourtant, la défaite du président-politicien vaut mille sacrifices.
(1) « L’Observateur » du 6 août 2018, page 3.
Auteur: Par Mody NIANG