Sénégal : après la production des premiers barils de pétrole, le défi du raffinage local
En attendant que la Société africaine de raffinage, à Dakar, puisse prendre le relais, les premières livraisons de brut issu du champ de Sangomar ont pris la direction des Pays-Bas et de l’Allemagne.
Le Sénégal est désormais officiellement exportateur de pétrole sur le marché international. Après la sortie des premiers barils du champ de Sangomar (à 100 km au large de Dakar) le 11 juin, le pays a livré le 15 juillet ses deux premières cargaisons de brut. C’est le géant britannique Shell qui a remporté l’appel d’offres de 997 000 barils, sur lequel près de 70 acheteurs s’étaient positionnés.
Ces premières cargaisons de brut sénégalais devraient être raffinées près de Rotterdam, aux Pays-Bas, ainsi qu’en Allemagne, selon les informations du Monde Afrique. Des destinations qui interrogent alors que le Sénégal dispose de sa propre raffinerie. Située à Mbao, en banlieue de Dakar, la Société africaine de raffinage (SAR) transforme en essence, depuis 1961, du brut venu du Nigeria et de Libye. Dès lors, pourquoi ne pas raffiner celui extrait au large du Sénégal ?
« Les premières cargaisons de pétrole viennent toujours avec un certain nombre d’impuretés qui rendent leur production incertaine. Nous avons décidé de ne pas prendre de risques en vendant notre part de brut », indique une source ministérielle, tout en prévenant que « la SAR est en capacité de raffiner le pétrole de Sangomar ».
Au lieu de récupérer sa part de brut destinée au marché local – soit 20 % de la production, selon le contrat de recherche et de partage de production signé entre la société nationale Petrosen et l’australien Woodside –, le Sénégal a donc décidé de la vendre à l’extérieur. Le prix n’a pas encore été officiellement communiqué, mais celui-ci devrait suivre le cours du brent, le baril de référence en Europe.
Nommé début mai, un mois à peine après l’investiture de Bassirou Diomaye Faye à la présidence, Mamadou Abib Diop, le directeur général de la SAR, assure que la société sera en mesure de raffiner le pétrole sénégalais dès septembre. « Nous attendons de recevoir des échantillons de brut de Sangomar pour pouvoir nous adapter, dit-il. Chaque brut a ses caractéristiques, avec une teneur en soufre plus ou moins importante. Nous sommes obligés de faire des réglages pour avoir un meilleur rendement. »
« Des décennies de retard »
L’Etat sénégalais avait lancé en 2020 un projet de modernisation de la SAR. En quatre ans, sa capacité de raffinage est passée de 1,2 million à 1,5 million de tonnes par an, pour un coût total de rénovation de 53 milliards de francs CFA (environ 81 millions d’euros). Mais c’est encore loin d’être suffisant pour traiter les 5,3 millions de tonnes de brut que le champ de Sangomar est en mesure de produire chaque année.
Pour pouvoir absorber la totalité de cette manne, les nouvelles autorités et la direction de la SAR travaillent donc sur un autre projet de modernisation, surnommé « SAR 2.0 ». « Ce projet doit nous permettre de passer à 5 millions de tonnes par an d’ici à 2030 », précise Mamadou Abib Diop. De quoi couvrir la demande nationale et d’exporter dans la région.
Raffiner localement pourrait à terme présenter de multiples avantages pour le Sénégal. A commencer par la baisse des prix dans certains secteurs, comme l’énergie. « Nous allons pouvoir faire des économies d’échelle, mais aussi développer des produits dérivés du pétrole, comme le fioul, qui servira à alimenter la société nationale d’électricité », indique l’expert Ibrahima Bachir Dramé, ancien directeur de la communication de Petrosen. Le ministère des énergies, du pétrole et des mines indique par ailleurs vouloir mettre l’accent sur le développement de l’industrie pétrochimique.
« La SAR est un outil de souveraineté stratégique pour le Sénégal et nous en sommes conscients », soutient Mamadou Abib Diop. Il faudra néanmoins attendre quelques années avant que ces ambitions soient satisfaites. « Le Sénégal est en train de rattraper des décennies de retard d’investissement et de modernisation des équipements, ce qui implique des coûts », note Mamadou Touré, docteur en régulation pétrolière internationale et expert maritime agréé.
Outre la modernisation de ses infrastructures, « l’assainissement de la trésorerie » sera un autre chantier de la SAR, reconnaît son directeur. A plusieurs reprises ces dernières années, des pétroliers chargés de brut en provenance du Nigeria sont restés bloqués au large de Dakar en attente d’un paiement de la SAR, incapable d’honorer ses factures et d’emprunter.
La situation s’est encore produite quelques jours après l’installation de Bassirou Diomaye Faye à la présidence, début avril. « Nous avons dû payer certaines dettes, a reconnu le chef de l’Etat devant la presse sénégalaise le 13 juillet. Nous avons pris des mesures pour assurer le réapprovisionnement de la SAR pour les hydrocarbures, sinon on risquait de plonger dans les délestages. » Des coupures d’électricité qui ont cessé ces derniers mois, mais dont le retour serait du plus mauvais effet pour les nouvelles autorités.
Avec le Monde