YAYA A DIA, ANCIEN ASSESSEUR À LA CREI «seule la loi du plus fort peut faire obstacle à l’inscription de Karim WADE»
«la condamnation pénale de Karim WADE ne fait obstacle ni à son inscription sur les listes électorales ni à la recevabilité de sa candidature ». tel est la conviction du magistrat en position de disponibilité Yaya amadou Dia, ancien assesseur à la cour de répression de l’enrichissement illicite (crei). Dans une lettre adressée au Sénégalais, il est sorti de sa réserve pour commenter la décision de la juridiction spéciale dont il avait claqué la porte. même s’il motive sa décision, des sources dignes de foi indiquent qu’il risque des sanctions.
L’obligation de réserve le veut, il est rarissime qu’un magistrat se prononce sur des questions d’actualité. Pour que cet argument ne lui soit pas opposé, l’ancien juge de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Yaya Amadou Dia, en disponibilité, motive sa sortie. «Ce statut permet, en son article 11, de nous exprimer sur toutes questions d’ordre technique qui intéressent la communauté nationale. L’appréciation, au regard de la loi, de la recevabilité de la demande d’inscription d’un sénégalais sur les listes électorales, en l’occurrence Karim WADE, et la recevabilité de sa candidature à l’élection du Président de la République sont une question éminemment technique.
L’autre précision que nous souhaitons faire est que nous avons été l’un des juges de monsieur WADE à la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite. Nous avons dû démissionner de cette juridiction parce que nous n’en partagions pas l’orientation. Seule encore l’exigence de responsabilité, de vérité et de justice justifie les mots qui suivent. Il est en effet indispensable pour le juge et le citoyen que nous sommes de donner notre avis, ne serait-ce que pour prévenir toute manipulation législative ou administrative visant à favoriser un camp sur un autre et de fustiger par avance toutes manœuvres frauduleuses apparentes ou cachées, cautionnées par une fuite de responsabilité juridictionnelle ou enrobées dans de savantes interprétations législatives et jurisprudentielles. Le pouvoir appartient au peuple et uniquement au peuple qui l’exerce par le biais de ses représentants. A cet égard, tout sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité prévus par la loi», assène l’ancien président du tribunal régional de Tamba.
Karim WADE n’a pas perdu ses droits civiques « Concernant l’exercice du droit de vote, poursuit le juge, les articles 34 et 35 précisent que les tribunaux ne pourront interdire leur exercice que lorsqu’il aura été autorisé ou ordonné par une disposition particulière de la loi. Aucune disposition de la loi 81-53 du 10 juillet 1981 relative à la répression de l’enrichissement illicite ne prévoit l’interdiction d’exercer les droits civiques pour le délit de l’article 163 du code pénal. Ce qui justifie le rejet par la CREI de la peine complémentaire, pourtant requise par le ministère
public. En refusant de prononcer l’inter- diction sollicitée, l’arrêt de la CREI laisse intacts les droits civiques de Karim WADE. La non- conformité des dispositions des articles L 31 et L 32 du code électoral à la Constitution du Sénégal est tout aussi manifeste. En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, le législateur qui peut édicter des peines et l’Exécutif chargé de leur exécution, ne peu- vent jamais les prononcer comme c’est le cas en l’espèce. La peine est obligatoirement prononcée par une juridiction de jugement après appréciation de la culpabilité de la personne », dit le juge. Par ailleurs, poursuit ce dernier, l’interdiction de s’inscrire sur une liste électorale constitue une peine et toute peine entraine l’application de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, partie intégrante de la Constitution du Sénégal aux termes duquel : « La loi ne doit établir que des peines stricte- ment et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». « Cette disposition constitutionnelle implique la soumission impérative des articles L 31 et L 32 du code électoral aux principes de nécessité et d’individualisation des peines. D’ailleurs à considérer même que l’article L 31 du code électoral qui ne concerne que les primo inscrits soit applicable au cas WADE, il reste que cette disposition ne peut encore faire obstacle à son inscription sur les listes électorales. En effet, Karim WADE ayant été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure à la période d’un mois et de six mois des dispositions de l’article L 31- 2 et L 31-3, la question fonda- mentale qui se pose est de savoir laquelle de ces deux dispositions lui est applicable, est-ce L 31-2 ou L31-3 ou même les deux à la fois. L’inscription ou l’interdiction d’inscription sur les listes électorales pour les personnes condamnées pour enrichissement illicite relève des dispositions de l’article L 31-3 du code électoral aux termes desquels, ne doivent pas être inscrits sur les listes électorales : « Ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une durée d’emprisonnement supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxième ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L 30 ». Sur le fondement de cette disposition, l’interdiction d’inscription sur les listes électorales ne peut être appliquée que si la personne est condamnée soit pour une peine criminelle, soit pour une peine délictuelle assortie des peines complémentaires de l’article L 34 du CP, à savoir l’interdiction en tout ou en partie de l’exercice des droits civiques, civils et de famille tels que le droit de vote et d’éligibilité, sans que la personne condamnée ait bénéficié de la réhabilitation ou fait l’objet d’une mesure d’amnistie. De même, au regard des dispositions de l’article L 30 du code électoral « nul ne peut refuser l’inscription sur les listes électorales (….) aux personnes qui, frappées d’incapacité électorale à la suite d’une condamnation, bénéficient de la réhabilitation ou font l’objet d’une mesure d’amnistie ». Quid alors d’une personne qui n’a jamais fait l’objet d’une incapacité électorale prononcée par un tribunal sénégalais ?
« Admettons que les dispositions de l’article L 31-2 et L 31-3 soient, toutes les deux à la fois, applicables à Karim WADE. Nous sommes alors dans la contradiction. Une disposition interdit son inscription sur les listes électorales, alors que l’autre l’autorise. Devant cette situation, les règles d’interprétation impliquent d’appliquer la norme la plus favorable au candidat, en l’espèce l’application de l’article L 31-3. Il est en effet de jurisprudence constitutionnelle que les règles qui établissent les limitations à l’inscription sur les listes électorales et, de façon générale aux candidatures, sont d’interprétation restrictive. De quelques angles que l’on se situe pour examiner la question posée, on se rend compte que seule la loi du plus fort peut faire obstacle à l’inscription de Karim WADE sur les listes électorales et à la recevabilité de sa candidature. Encore à admettre que la loi du plus fort puisse triompher et que Karim WADE ne s’inscrive pas sur es listes électorales, sa candida- ture reste malgré tout recevable. L’inscription sur les listes électo- rales n’est pas une condition de recevabilité d’une candidature au regard des dispositions de l’arti- cle L 115 du code électoral.
La présence sur les listes électo- rales implique seulement la pos- sibilité et non l’obligation de voter le jour du scrutin pour toute personne qui le souhaite. La qua- lité d’électeur ne s’apprécie pas, de façon absolue, par rapport à l’inscription ou non sur une liste électorale. Elle ne s’apprécie qu’au regard des seules disposi- tions de l’article 3 dernier alinéa de la Constitution et L 27 du code électoral aux termes desquels « sont électeurs les sénégalais des deux sexes, âgés de dix-huit (18) ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapa- cité prévu par la loi ».
Seules la minorité et la perte de la jouissance des droits civiques et politiques empêchent d’être élec- teurs. Karim Wade, qui n’est dans aucun de ces cas, reste électeur au regard de la loi», tranche Yaya Amadou Dia qui conclut : « Lorsque les hommes s’évertuent à mettre de l’injustice dans les lois, Dieu y met la justice et IL frappe avec ces lois ceux qui les ont votées ». Et d’ajouter : «ceux qui ont été à leur origine, ceux qui les appliquent et ceux qui les exé- cutent sans discernement ».
( Hadja Diaw GAYE et Toutinfo.net )