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Débat sur la nationalité et la citoyenneté : La grande leçon de Rome et de l’Amérique (Par Dr Yoro Dia)

Les grandes nations sont les nations ouvertes et généreuses. Dans la bataille entre les Etats Unis et la Chine pour être la première puissance mondiale, les américains ont un avantage comparatif : n’importe qui peut être américain, personne ne peut devenir chinois. Ce qui fait des Etats Unis les véritables héritiers de l’empire romain qui, après l’épée, a conquis l’esprit et les cœurs avec l’édit de Caracalla qui octroya la citoyenneté romaine à tous les hommes libres des zones conquises. Les Etats Unis sont tellement ouverts qu’ils ont élu Obama, un Président né à la périphérie des Etats Unis et dont le père n’est pas américain. La France a été une grande nation quand Napoléon décréta que « tous les hommes de talents quelle que soit leur origine sont français ». On est très loin de la polémique xénophobe qui a suivi la nomination de Pape Ndiaye au Ministère de l’éducation nationale alors que les Britanniques ont élu Rishi Sunak un Premier Ministre d’origine indienne. Vérité en deçà de la Manche, erreur au-delà.

C’est cet esprit d’ouverture des anglais qui permet de comprendre que l’Angleterre soit la seule ile ( une si petite ile) à avoir réussi à dominer le monde en devenant une thalassocratie. La France universaliste, c’était la Grande France, celle qui avait une vocation qui fera dire à Ben Franklin que chaque homme a deux patries : son propre pays et la France pour les valeurs de 1789. Aujourd’hui nous sommes loin de cette France. Nous sommes à l’ère de la France qui s’époumone sur le débat sur la déchéance de nationalité et qui s’enferme de jour en jour dans un certain provincialisme qui finira par mettre la culture et la nation française sous verre et la figer complètement en voulant la protéger contre une imaginaire invasion anglo-saxonne américaine, européenne ou musulmane. Les Etats Unis sont la plus grande nation au monde parce que c’est la nation la plus ouverte et la plus généreuse. Etudiant en France, je partais souvent aux Etats Unis. Quand autour de la table les américains découvrent que tu n’es pas américain, ils te posent la question de savoir quand est-ce que tu prends le passeport américain alors qu’en France on te demande est ce que tu rentres à la fin de tes études. Ellie Weisel, prix Nobel de paix a pris son passeport américain de cette manière de même que l’astrophysicien malien Modibo Diarra. La plupart des Nobels américains sont d’origine étrangère. Que serait l’Amérique sans Google dont le co-fondateur est russe. Que serait l’Amérique sans les « allemands » Einstein et Kissinger dont l’anglais était marqué par un fort accent allemand, sans son « polonais » Zbigniew Brezinski » né en Pologne, devenu conseiller à la Sécurité nationale et qui s’est vanté dans les années 70 d’être le seul polonais à pouvoir tenir tête aux russes depuis trois siècles. Que serait l’Amérique sans le « syrien » Steve Jobs ou le « kenyan » Obama.

Le Sénégal a toujours été une grande nation ouverte et généreuse et battons-nous pour qu’il le reste. «Il ne faut pas laisser les activistes ou politiciens jouer avec des allumettes ». Refusons que nos politiciens « jouent avec des allumettes » en nous enfermant dans les apories de la question identitaire. C’est encore une arme de distraction massive comme savent en inventer nos hommes politiques pour ne pas aborder les vraies questions. Un grand pays comme la Cote d’Ivoire n’est pas encore complètement sorti de l’abime dans lequel l’ont plongé des politiciens entrepreneurs identitaires. Le Sénégal est une chance et un exemple pour le monde. Nous sommes le seul pays musulman à 95% à avoir eu un Président catholique pendant 20 ans, en plus d’être l’une des rares sociétés africaines à être complétement « détribalisée» et à être « desethnicisée ». C’est ce contrat social sénégalais qui nous a permis de faire face à plus de 40 ans de conflit en Casamance sans pour autant stigmatiser aucune ethnie ni aucune religion même si la rébellion a été dirigée par un prêtre catholique. Nous avons tiré les leçons de ce conflit en passant du modèle de nation une et indivisible à celui de nation plurielle mais indivisible. Je suis très fier d’appartenir à un pays où dans la classe politique il y a des Dias, des Abourisk, des D’Erneville à côtés des Sall, des Ndiaye,des Diop et des Seck. Que serait l’Etat du Sénégal sans Jean Collin. Qui est plus patriote que Jean Collin ? Ce grand homme d’Etat mort à Bayeux en France et qui a demandé à être inhumé dans le Saloum profond alors la plupart de nos hommes politiques amènent leurs femmes accoucher en France ou aux Etats Unis comme si c’était une ignominie ou un péché originel de venir au monde au Sénégal. Qui est plus Sénégalais que nos Valentins, nos Lamotte, nos Turpins, nos Guillaberts et autres Agbotons et Behanzin…..

L’ouverture est la plus grande richesse pour notre pays prédestiné par la géographie et l’histoire à être un carrefour, un lieu de rencontres et de métissage. Sur le plan géographique le Sénégal constitue le pont entre le Maghreb et l’Afrique noire. Un pont entre deux mondes .Nous avons cette vocation naturelle de ponts entre les cultures. Un pont culturel entre l’Orient auquel nous lie l’Islam et l’Occident auquel nous lie les valeurs de la République et de la Démocratie. Notre modèle national doit recouper les notions senghoriennes d’enracinement et d’ouverture. « La nation est la possession en commun d’un antique cimetière » dit Barres. Donc sont sénégalais ceux qui partagent avec nous un antique cimetière donc aussi les guinéens, les « libanos syriens » qui n’envoient plus leurs morts au Liban depuis des siècles. Ils sont devenus des sénégalais à part entière et c’est fort dommage qu’ils se considèrent encore entièrement à part en se limitant à l’économie. En ce qui concerne l’ouverture, on doit permettre de devenir sénégalais les hôtes étrangers qui vivent parmi nous et partagent nos valeurs au point de vouloir devenir Sénégalais. Quand on est le seul pays au monde où le Président de la république en s’adressant à la Nation ajoute « hôtes étrangers qui vivez parmi nous », on n’a pas le droit de se rabaisser au point de nous créer de faux débats sur la nationalité.

Refusons que les politiciens dilapident ce que nous avons de plus précieux : cet esprit qui fonde la grandeur de notre nation. C’est cet esprit qui a fait du Sénégal une terre d’asile intellectuel et démocratique pour tout le continent. Notre vocation naturelle est d’être le porte flambeau du continent pour la liberté, la démocratie et l’ouverture. Je m’honore de vivre dans un pays où un tel débat a soulevé une telle levée de boucliers et une si grande indignation.

Dr Yoro Dia, Politologue