Seehofer, l’épine bavaroise dans le pied de Merkel
Le ministre allemand de l’Intérieur Horst Seehofer est devenu le principal adversaire d’Angela Merkel. En s’attaquant à la politique migratoire de la chancelière, ce Bavarois espère endiguer la montée de l’extrême droite sur ses terres.
“Garde tes amis près de toi et les ennemis encore plus près.” La chancelière allemande Angela Merkel doit se mordre les doigts d’avoir suivi le célèbre conseil de Michael Corleonedans le film “Le Parrain”, en nommant Horst Seehofer au poste de ministre de l’Intérieur, début mars 2018. Il est devenu la principale menace à la survie de la coalition au pouvoir.
Car les apparences peuvent être trompeuses. Ce Bavarois de 68 ans dirige certes la CSU, le parti ultraconservateur du sud de l’Allemagne et partenaire politique historique de la CDU d’Angela Merkel depuis des décennies, mais il est aussi l’un des plus virulents critiques de la politique migratoire de la chancelière. Il demande, depuis 2015, un durcissement des règles d’accueil des immigrés et a affirmé, récemment, que “l’islam n’avait pas sa place en Allemagne”.
Enfant de la Bavière et de la CSU
Angela Merkel espérait pouvoir canaliser ce politicien au verbe très droitier et le noyer sous le travail en lui offrant un ministère au nom à rallonge : Intérieur, Bâtiment et Patrie. Elle s’est trompée. Horst Seehofer n’a pas tardé à mettre la chancelière au pied du mur : soit elle accepte de durcir les règles d’accueil des réfugiés, soit il applique, lui-même, sa proposition de refouler davantage d’immigrés à la frontière, court-circuitant la hiérarchie gouvernementale. La chancelière n’aurait, alors, d’autre choix que de prendre acte de cette rébellion, de limoger son ministre de l’Intérieur et mettre, ainsi, sa coalition en péril. Horst Seehofer s’est même payé le luxe de lancer un ultimatum à Angela Merkel, qui expire dans deux semaines, après le sommet européen du 28 et 29 juin.
Dans ce bras de fer au sommet de l’État, il est donc prêt à sacrifier son super-ministère, la stabilité politique en Allemagne et l’alliance CDU-CSU. Pour comprendre cette apparente pulsion destructrice, il faut en revenir aux origines d’Horst Seehofer, profondément ancrées en Bavière.
Ce Land (découpage administratif régional) catholique au sein d’un pays majoritairement protestant, s’est toujours rêvé un destin à part en Allemagne. Son nom officiel, “État libre de Bavière” est un témoignage de cette spécificité. Il aime, économiquement, à se mesurer aux autres pays de l’Union européenne plutôt qu’aux autres Länder. Une manière de souligner la réussite bavaroise : son PIB est supérieur à celui de 21 des 28 États membres de l’UE.
Politiquement aussi, la Bavière vit sur une autre planète. Le Land est, depuis soixante-et-un ans, aux mains d’un même parti, la CSU qui n’existe nulle part ailleurs en Allemagne. Et c’est là que le bât blesse pour Horst Seehofer. Sa formation n’a obtenu que 38 % des voix lors des élections législatives de septembre 2017, enregistrant son plus mauvais résultat depuis des décennies.
Pour le leader de la CSU, le constat était clair : son mouvement était victime, comme tous les autres partis de gouvernement, d’un vote de rejet au profit des extrêmes, et surtout des populistes de l’Alternative für Deutschland (AfD). Ces derniers ont obtenu plus de 10 % aux législatives en Bavière. Empruntant à la rhétorique de l’AfD, Horst Seehofer a assuré, peu après le vote, que “nous avons oublié d’écouter le peuple” et « ne faire que dire à voix haute ce que pense la majorité silencieuse”. Comprendre : il faut être plus dur sur le front de l’immigration.
Milieu modeste
Ce Bavarois s’est toujours targué de mieux comprendre les aspirations du peuple que la plupart des politiciens à cause de son histoire personnelle, rappelle la Süddeutsche Zeitung. Il a grandi à Ingolstadt (entre Munich et Nuremberg), dans un milieu ouvrier très modeste et pieux. Son père travaillait comme ouvrier du bâtiment et conducteur de camion, tandis que sa mère restait à la maison pour s’occuper de ses trois enfants. Le futur patron de la puissante CSU n’a jamais obtenu son baccalauréat et a passé la majeure partie de sa carrière professionnelle comme fonctionnaire municipal à Ingolstadt.
Lorsqu’il a intégré la CSU, au début des années 1970, il faisait figure de “punk du parti” au milieu des notables bavarois. Mais il n’est pas le seul politicien aux origines populaires à avoir réussi à se hisser à la tête du parti. Franz-Josef Strauss, l’une des figures tutélaires de la CSU de la seconde moitié du XXe siècle, était fils de boucher. Les deux hommes ont en commun de s’être toujours présentés proches du peuple avant tout.
Mais à l’époque de Franz-Josef Strauss, la CSU n’avait pas de concurrence à sa droite. Horst Seehofer est, lui, dans une logique de surenchère avec l’AfD, afin de garder le contrôle du fief bavarois. C’est ce qui explique la crise qu’il a déclenchée au niveau national, assure la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Car les élections régionales d’octobre 2018 arrivent à grands pas, et le ministre de l’Intérieur d’Angela Merkel est décidé à endiguer le recul électoral de la CSU. Il est prêt à bouter les réfugiés hors d’Allemagne, si cela lui permet de bouter l’AfD hors de Bavière. Même s’il risque, au passage, de se faire bouter lui-même hors du gouvernement.